À la suite d’une commande de l’Œuvre nationale de secours Grande-Duchesse-Charlotte, trois photographes ont eu carte blanche pour saisir la situation des réfugiés arrivant au pays. Sans sensationnalisme, mais à travers un profond regard humaniste.
Au plus fort de la crise migratoire, en 2015, l’Œuvre nationale de secours Grande-Duchesse-Charlotte a lancé un ambitieux appel à projets intitulé «Mateneen» («Ensemble») visant, comme son nom l’indique avec évidence, à favoriser le rapprochement entre réfugiés et résidents.
Parmi la centaine de belles initiatives proposées, englobant associations comme particuliers, trois photographes (Sébastien Cuvelier, Patrick Galbats, Ann Sophie Lindström) se sont lancés, appareil en bandoulière, sur la piste de ses «nouveaux arrivants», apatrides, désœuvrés, déracinés… traversant alors le pays du nord au sud pour se rapprocher au plus près de leur réalité.
Une longue immersion motivée par le besoin de documenter un sujet toujours d’actualité et d’éviter, au passage, de tomber dans le sensationnel. «Tous les trois ont cette sensibilité pour le social», appuie Anouk Wies, commissaire de cette exposition retardée puisque programmée initialement en mars au Cercle Cité.
Mais la patience était nécessaire : «Il y a eu, de leur part, un énorme travail en amont, explique-t-elle. Le moins que l’on pouvait faire, c’était de leur donner une visibilité.» Tout comme à ces âmes meurtries, dont certaines, après cinq ans d’errance ou d’attente, ne se trouvent plus au Luxembourg. «Des destins dont personne ne parle, des hommes et femmes qui, à défaut d’obtenir des papiers, n’existent pas vraiment.»
Être sur le terrain
Afin de ne pas entretenir les clichés tout en esquivant, parallèlement, l’approche trop brutale (et lacrymale), les trois artistes se sont attachés à respecter quelques intentions : être sur le terrain, donc, pour suivre le quotidien de ces émigrés. Passer du temps avec eux, nouer des amitiés (certaines durent d’ailleurs encore). Mais aussi rester fidèle à un style artistique, sans nécessairement éprouver le besoin de faire dans l’approche «documentaire».
En somme, à leur manière, raconter l’humanité et faire apparaître, sous l’objectif, ce qui nous relie tous plutôt que ce qui nous sépare. Toujours Anouk Wies : «Toutes ces personnes sont déjà au Luxembourg, avec un périple derrière elles. L’important, ici, n’est pas de raconter l’horreur mais de voir quels étaient leurs attentes, leurs doutes, leurs émotions.» Et répondre aussi, de la manière la plus sensible possible, à cette question fondamentale : «Qui sont-ils?». Afin, peut-être, de leur redonner une identité perdue en cours de route.
Première de cordée, Ann Sophie Lindström, souvent définie comme une «visual storyteller», donne une image intime des personnes et des lieux qu’elle documente. D’ailleurs, aussi bien pour l’exposition que pour la publication, elle n’apporte aucun éclairage sur ses clichés, laissant l’image s’exprimer d’elle-même. On la voit ainsi arpenter les coulisses de la pièce de théâtre Letters from Luxembourg, projet intégrant des migrants à son casting. Un d’entre eux a les larmes aux yeux. Des explications s’imposent tout de même : «Cet homme a perdu un de ses cousins lors d’une explosion. Dès que le spectacle abordait la notion de mort, l’émotion était palpable», confie Anouk Wies.
À travers un subtil jeu d’ombre, la photographe raconte au plus près cette lutte intérieure, en marge et ignorée de beaucoup, avant finalement de laisser venir la lumière et l’espoir. Ici, un camion de déménagement; là, un père qui s’amuse avec son enfant dans leur jardin. Oui, un renouveau est possible. «C’est beau quand cela arrive», s’enthousiasme la commissaire.
Situation temporaire, situation précaire
Si Patrick Galbats, comme sa compère, offre quelques portraits de ses rencontres, il préfère, pour sa part, porter son regard sur l'(in)activité de tous ces anonymes qu’il croise. Ce n’est pas pour rien, d’ailleurs, qu’il intitule sa série «Waiting Room», dévoilant les lieux d’hébergement temporaires des réfugiés au Grand-Duché : au camping de Bourscheid, il fixe huit hommes (Irakiens et Syriens) vivant dans un petit chalet. À l’hôtel Senator, il immortalise une montagne de valises. À Gasperich, l’ancien Monopol semble être lui hanté par de vieux fantômes, avec ses tentes d’hébergement d’urgence (jamais utilisées)…
Ses photographies, tout en retenue, évoquent l’attente et l’isolement («dans des lieux aux conditions précaires», ajoute Anouk Wies), et comment on y résiste (notamment à travers des ateliers d’activités manuelles). Mais la solidarité, les souvenirs et les retrouvailles sont aussi mis en lumière, comme à travers ces sourires retrouvés, à Trintange, d’une famille à nouveau réunie après deux ans de séparation.
Sébastien Cuvelier, lui, se concentre sur cinq personnes d’origines différentes et enrichit son travail d’une jolie mise en scène, garnie de papiers administratifs et de photos données par les réfugiés eux-mêmes. Un patchwork qui célèbre Farnaz et la poésie iranienne de Shiraz; Nisreen et la Palestine de son cœur; Yannick et le passé colonial camerounais qui hante tout un continent; Khalid et sa fuite de Bagdad par la mer qui le marquera par une persistante peur de l’eau; Yasha et sa profonde foi chrétienne dans un pays islamique.
Ce dernier, sur petit écran, détaille même le périple qui l’amena jusqu’au Luxembourg, son eldorado. «Il y a autant d’histoires qu’il y a de réfugiés», conclut le photographe. Et autant, qui sait, de beaux dénouements.
Gregory Cimatti
Cercle Cité – Luxembourg. Jusqu’au 25 octobre.