Le MNHA devient l’écrin du flamboyant art espagnol du XVIIe siècle. Le public peut y découvrir 23 sculptures et peintures traduisant la ferveur religieuse de l’époque, avec une unique mise en lumière de l’artiste baroque Pedro de Mena (1628-1688).
Quand on songe à la sculpture ancienne, d’emblée, l’imagerie populaire nous renvoie l’image d’un monolithe de marbre blanc estropié par le temps. C’est mal connaître l’art espagnol du XVIIe siècle qui, à travers le talent de ses créateurs baroques, cherchait les vertus de l’hyperréalisme, et ce, dans le but avoué de mobiliser les âmes. Rappelons qu’à l’époque l’Espagne s’est érigée en protectrice immuable de la foi catholique et n’épargne donc pas ses efforts pour débarrasser l’Europe de la «contagion» protestante.
Dans ce contexte, l’art religieux connaît évidemment une prospérité inégalée puisqu’il constitue un vecteur de transmission, d’instruction et de dévotion. Car si le protestantisme use du poids des mots, le catholicisme se sert lui de la puissance de l’image pour transmettre ses idées selon l’adage qui dit que «voir, c’est croire».
Le but, c’est d’impressionner le spectateur, jouer avec son émotion
C’est fort de ces considérations «historiques et politiques» que le MNHA propose l’exposition «Maîtres du baroque espagnol», soit 23 sculptures et peintures traduisant la ferveur religieuse dans l’Espagne de l’époque. Et l’immersion se veut authentique avec deux salles plongées dans le noir, afin de restituer une atmosphère «à la fois intime et dramatique», explique Michel Polfer, le directeur du musée. C’est vrai, on se sent un peu comme au cœur d’une église, les cloches et l’encens en moins. «Le but, c’est d’impressionner le spectateur, jouer avec son émotion», explique-t-il. Le MNHA aurait-il succombé aux charmes et principes de la Contre-Réforme ?
En tout cas, il les traduit avec malice, en ouvrant généreusement sa sélection – faite de prêts internationaux issus de collections privées – à la sculpture qui, pour le coup, se met au même niveau (qualitatif et hiérarchique) que la peinture. Choix d’autant plus justifié qu’au XVIIe siècle les artistes des deux disciplines «collaborent et s’influencent», quand ils ne jouent pas sur les deux tableaux (comme Alonso Cano).
Bref, outre des toiles de maîtres renommés, comme Murillo et Zurbarán, le point d’orgue repose sur un groupe de huit œuvres du plus grand sculpteur baroque de l’époque, Pedro de Mena (1628-1688). Quand on sait que les plus grands musées du monde n’en disposent pas dans leur réserve, on se dit que le MNHA a réalisé un beau coup – même le musée partenaire de Bruges, le Sint-Janshospitaal, n’en disposait pas d’autant lors de sa propre exposition en 2019.
Vous allez dans trois couvents à Madrid, vous en avez vu dix !
Ce qui fait dire à un Michel Polfer enthousiaste : «C’est le plus important ensemble de sculptures de cet artiste à l’échelle mondiale, visible en dehors de l’Espagne.» C’est vrai, ces œuvres, plus vraies que nature, sont encore vénérées au sein des cathédrales, églises et couvents, certaines étant aussi exhibées aux grandes foules de croyants lors de processions. «Vous allez dans trois couvents à Madrid, vous en avez vu dix !», soutient pour sa part Muriel Prieur, chef du service de restauration du MNHA qui, avec son équipe, s’est «amusée» à voir ce que contenait ces statues (lire encadré) et à rappeler les différents procédés utilisés pour les réaliser.
Sorties de leur contexte originel, celles-ci ne perdent toutefois rien de leur pertinence, surtout quand elles répondent aux tableaux en vis-à-vis. Dans ce jeu d’allers-retours, certains thèmes, symboles même de la Contre-Réforme, reviennent régulièrement. D’abord le concept de l’Immaculée Conception, défendant la croyance selon laquelle la mère de Dieu aurait été conçue exempte du péché originel – idée réaffirmée par le concile de Trente (1545-1563). Ensuite, les souffrances du Christ et de sa mère constituent aussi, à la fin du Moyen Âge, un élément clé de la spiritualité espagnole – De Mena réalise plusieurs bustes du Christ agonisant et de Marie éplorée, souvent conçus en couple.
Enfin, outre la célébration des saints catholiques, parfois à travers la confrontation du bien et du mal, on trouve la figure de l’enfant (souvent Jésus ou Jean Baptiste), sans la présence de leurs mères. Des œuvres qui, selon les organisateurs, sont particulièrement appréciées par les communautés religieuses féminines. «Elles transfèrent leur amour maternel sur la sculpture.» Un peu comme un enfant peut le faire avec ces poupées en porcelaine, également d’un autre temps et au réalisme tout aussi troublant. Mais l’enjeu ici n’est pas le même : c’est quand même le paradis qui est promis.
Grégory Cimatti
Musée national d’Histoire et d’Art – Luxembourg. Jusqu’au 18 octobre.
Dans les «entrailles» des sculptures
L’exposition «Maîtres du baroque espagnol» présente également, dès l’entrée, les résultats inédits d’une analyse par radiographie de huit sculptures exposées. Réalisée dans le cadre d’une coopération exceptionnelle avec le service d’imagerie médicale du Centre hospitalier du Nord (CHdN) à Ettelbruck, elle permet au visiteur de plonger «dans les entrailles» de ces œuvres à l’apparence parfaite.
«À l’extérieur, elles paraissent parfaitement lisses alors qu’en réalité, c’est un assemblage de pièces», explique Michel Polfer, le directeur du musée. Le visiteur peut aussi se familiariser avec certaines techniques de polychromie sur bois grâce à des échantillons modèles réalisés par le service de restauration du MNHA, dirigé par Muriel Prieur, et un ensemble de vitrines qui expliquent tout le procédé permettant, à partir de l’argile et du bois nu, de réaliser une sculpture comme à l’époque, en Espagne.
Et pour réaliser des œuvres voulues très réalistes, les artistes employaient les grands moyens : yeux et larmes de verre, dents d’ivoire, cheveux implantés pour recréer des cils et des sourcils, ongles de corne animale ensuite collés aux mains et aux pieds, résine de couleur rouge censée imiter le sang… Une fois le travail du sculpteur accompli, la statue était confiée aux mains expertes d’un peintre ou d’un doreur, dont le travail, minutieux, est ici détaillé en plusieurs étapes (avec le matériel et les techniques d’alors). «Ainsi, on peut regarder ces œuvres avec un œil neuf, différent», conclut Michel Polfer.