En préambule au Luxembourg City Film Festival, le Cercle Cité, comme chaque année, fait son cinéma. Cette fois, il a laissé carte blanche au CNA pour raconter l’histoire du décor «made in Luxembourg» sur quatre décennies.
Alors que ce jeudi le LuxFilmFest dévoile sa programmation qui sera visible début mars en salle ou en ligne, le Cercle Cité, fidèle partenaire (il a notamment servi de QG au festival), a décidé de ne pas céder aux sirènes du numérique. Comme dans une habitude, en préambule, il livre dans un heureux timing une nouvelle exposition légère et ludique célébrant le grand écran. Un plaisir coupable qui, par le passé, s’est notamment intéressé à l’esthétique de Wes Anderson ou au cinéma populaire américain, sous le regard «habité» de la photographe Véronique Kolber.
Ce coup-ci, il a confié les clés de la démonstration au Centre national de l’audiovisuel (CNA), bien placé, selon son directeur Paul Lesch, pour raconter les «coulisses» du cinéma luxembourgeois. Car son histoire, jeune et encore «en écriture», ne doit pas seulement s’intéresser au produit fini, mais également à «tous ceux qui, dans l’ombre, font les films!». Cette mission, qualifiée de «pédagogique», prend forme à travers cette nouvelle étape intitulée «Ready. Set. Design.», soit un assemblage (en anglais) de documents, de photos et d’interviews qui éclairent sur l’importance du décor – et sa pratique à l’échelle nationale –, élément essentiel qui s’immisce «dans tous les stades» créatifs propres à chaque réalisation.
D’Echternach à La Nouvelle-Orléans
«Art suprême de l’illusion», le décor est donc un «protagoniste» à part entière, comme le démontre cette première partie de l’exposition, chronologique et fouillée, où il intervient du scénario au montage final. Trois écrans et de nombreux clichés expliquent toute l’importance de la scénographie, changée en post-production comme pour le film Eng nei Zäit (2015), ou analysée avec minutie pour mieux l’incarner (selon l’ingénieur du son Carlo Thoss). Car transformer une vision d’auteur en réalité tangible, que l’on soit d’ailleurs en plein air ou en studio, ne doit pas être pris à la légère ! Ainsi, de l’accessoiriste aux techniciens visuels, tout le monde est mobilisé.
Outre quelques installations et croquis annexes – comme ce bureau d’Hannah Arendt entièrement reconstitué –, cette manie du trompe-l’œil se matérialise sur deux imposantes cartes. Elles rappellent deux choses : d’abord que le Luxembourg, depuis 1988 et la mise en place d’un régime fiscal «avantageux» pour les investissements dans l’audiovisuel, est devenu un lieu qui compte pour les tournages étrangers (comme en témoigne la kyrielle de coproductions). Ensuite, comment, par la malice du montage, du cadrage, de l’éclairage et d’autres petits détails roublards, la magie prend forme.
Mersch, à l’écran, prend alors les allures de Paris, Echternach s’imagine en Nouvelle–Orléans, les châteaux, nombreux au pays (Vianden, Brandenbourg, Ansembourg…), reviennent à des temps plus nobles, tandis que les paysages du «Stau», schizophrènes, incarnent successivement les États-Unis, l’Angleterre et la République tchèque dans des films alternant chute de voiture, course en hélicoptère et guerres moyenâgeuses ! Même idée pour la capitale qui, à travers les envies fantasques de réalisateurs, devient tour à tour Tel Aviv ou Bruxelles. D’un coup de baguette, la place du Théâtre, grâce à un palmier et une inscription en hébreux, se change en Jésuralem (The Point Men). Le Cercle Cité lui-même n’a pas échappé à la transformation, tantôt spa belge, tantôt salon de beauté parisien, sans oublier ses multiples incarnations en hôtel.
Al Pacino à Venise-sur-Alzette !
Dans une veine plus superficielle (qui méritait d’être approfondie), l’exposition s’intéresse à la vision que se font les cinéastes luxembourgeois de leur pays. Les anciens, comme les plus jeunes – Andy Bausch, Bady Minck, Christophe Wagner, Laura Schroeder, Max Jacoby, Jacques Molitor, Govinda Van Maele – expliquent comment ils s’appuient ou détruisent, c’est selon, les clichés propres à leur belle contrée, faisant ou défaisant l’idée que la capitale serait la face cachée du Grand-Duché, les friches sidérurgiques, ses élans nostalgiques, et la campagne, ses lieux énigmatiques et pittoresques. L’occasion de s’interroger, dans un écart, sur la destruction actuelle du patrimoine architectural, bien que selon Paul Lesch, aujourd’hui, «le cinéma est capable de tout refaire», même si cela est «cher» et «trop facile».
Terminons, justement, avec un projet coûteux qui n’a rien eu d’une sinécure et resté à ce titre dans les annales du cinéma national : la métamorphose, en quelques mois, par la contribution de plus de 300 artisans et ouvriers, des friches des «Terres rouges» à Esch-sur-Alzette en Venise du XVe siècle ! En 2001, cet immense plateau, porté par Delux Productions, a servi à l’ambitieux film Secret Passage (avec John Turturro), qui n’a, en retour, pas eu le succès espéré, au point même d’avoir eu du mal à trouver un distributeur! Pour soulager les frais, la colossale structure accueillera notamment jusqu’en 2007 (avant d’être démantelée) l’inconnue Scarlett Johansson et Colin Firth pour Girl with the Pearl Earring (2003), détournant alors la Sérénissime en ville néerlandaise… On y a même vu un beau trio déguisé : Al Pacino, Jeremy Irons et Joseph Fiennes à l’occasion du très moyen Merchant of Venice (2004). Précisons que le décor n’y est pour rien.
Grégory Cimatti