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[Expo] Art et écologie se rencontrent au Mudam


L'exposition matérialise les interrogations liées à l'exploitation humaine des territoires et ressources naturelles. (©Johannes Schwartz/Mudam)

Loin d’être moralisatrice, l’exposition «No Man’s Land», présentée jusqu’au 9 septembre au Mudam, est un appel à la réflexion autour des questions environnementales.

Dès l’entrée, une question est soulevée : «Est-ce une exposition d’histoire naturelle ?». Une pyramide de bocaux surplombe en effet le visiteur. À l’intérieur de ceux-ci, des espèces sous-marines et du formol… Ici, nulle étude biologique, mais une œuvre de l’Américain Brandon Ballengée, Prelude to the Collapse of the North Atlantic. Son objectif : alerter sur l’appauvrissement des ressources aquatiques.

On l’aura compris : l’exposition «No Man’s Land, espaces naturels, terrains d’expérimentation» matérialise les interrogations liées à l’exploitation humaine des territoires et ressources naturelles. Et la quinzaine d’artistes invités ont adopté une démarche commune autour de cette problématique sensible. Marie-Noëlle Farcy, une des commissaires de l’exposition, observe : «Ce n’est pas de la résignation, mais plutôt le constat difficile que notre environnement est soumis à des tensions.» Ces tensions, subtilement traduites ici, seront ainsi omniprésentes tout au long de l’exposition.

Une fois la première salle passée, le spectateur est projeté dans une obscurité certaine. Là, une population tributaire de la pêche, un pays rongé par la corruption et gangrené par les violences liées au trafic de drogue… C’est le triste dessin que dresse Martha Atienza sur son pays d’origine, les Philippines.

Volontairement oppressant et anxiogène

«Elle joue sur la confusion des espaces. On a presque l’impression qu’on est devant une vision sous-marine», affirme la commissaire. En effet, devant la vidéo Our Island, le visiteur oscille entre consternation et fascination face à ces corps en mouvement profondément hypnotiques. Rendre visible ce qui ne l’est pas… Hélène Lucien et Marc Pallain s’en sont fait une mission et, dans ce sens, se sont associés en 2012 pour un projet réalisé aux abords des zones irradiées de Fukushima. Ils ont exposé aux radiations pendant des durées variables des films radiographiques vierges. Des contours et formes surréalistes se dessinent. Tel un oxymore, le travail du duo matérialise l’une des plus importantes catastrophes du XXIe siècle en un travail plastique à l’esthétisme poussé.

Radioactivité encore : la salle suivante projette le visiteur dans un paysage lunaire et coloré. Art orienté objet, un duo artistique français composé de Marion Laval-Jeantet et de Benoît Mangin, a réalisé en 2016 cette installation intitulée L’Herbe noire, traduction du terme ukrainien «Tchernobyl». L’attirante fluorescence de ce décor végétal est causée par l’utilisation de l’ouraline, un verre à base d’uranium. Se dégage alors de l’installation un caractère profondément oppressant, anxiogène.

Marie-Noëlle Farcy l’extériorise, «C’est très inquiétant : il y a un côté électrique, carcéral !» Une dernière salle, et deux écrans s’imposent comme une bouffée d’air frais. L’Américaine Jennifer Allora et le Cubain Guillermo Calzadilla réalisent Returning Sound et Half Mast / Full Mast. Pour cadre, l’île de Vieques voisine de Porto Rico, longtemps utilisée comme base militaire par l’armée américaine. Les deux œuvres résonnent comme une réappropriation du territoire, un exorcisme du fantôme militaire.

Loin du politiquement correct des rengaines écologistes, l’exposition «No Man’s Land, espaces naturels, terrains d’expérimentation» laisse espérer une résilience, impose une réflexion. Pour Marie-Noëlle Farcy, «ces artistes se confrontent avec le réel. Ils vont vraiment sur le terrain, ils ne sont pas simplement dans la question de la représentation de la métaphore. Ils adoptent une posture de militant et utilisent des moyens visuels pour faire bouger les lignes.»

Mathilde Ledroit