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Expo à Neimënster : la tragédie humaine à nos portes


Vingt-cinq photos et autant de témoignages sur la réalité de l'accueil des migrants à Malte, sur les sauvetages en mer de personnes en danger de mort immédiate. (photo Darrin Zammit Lupi)

Neimënster présente en ce moment, jusqu’au 26 février, dans son cloître, l’exposition «Isle Landers» de Darrin Zammit Lupi. Vingt-cinq clichés aussi puissants que beaux sur les migrants et leur accueil à Malte.

Vingt-cinq photos grand format (1,5 x 1 m pour les plus grandes, 1,28 x 0,88 m pour les autres) occupent en ce moment le cloître de l’abbaye de Neumünster dans le Grund. Vingt-cinq photos prises par Darrin Zammit Lupi, vingt-cinq témoignages de ce photojournaliste sur la réalité de l’accueil des migrants à Malte, sur les sauvetages en mer de personnes en danger de mort immédiate, sur ces gens obligés à prendre tous les risques dans l’espoir d’une vie meilleure.

Des photos prises au départ pour le journal et l’agence de presse pour lesquels travaille le photographe et que le haut-commissaire des Nations unies pour les réfugiés a voulu regrouper dans une exposition. D’abord présentée à La Valette, capitale maltaise, en 2014, elle a depuis été présentée en Australie, au Conseil de l’Europe de Strasbourg, à Visa pour l’image de Perpignan (dans une version projetée); elle est désormais à Luxembourg, dans une version un peu réduite par rapport à l’originale.

Et dès l’entrée dans le cloître, le visiteur est happé par la force et la beauté de ces clichés. Le tout premier est un exemple du genre avec ce jeune de 17 ans qui fixe la caméra – et du coup le visiteur – depuis le bus où il a pris place, avec la fierté de celui qui a survécu et se sait dans son bon droit d’être humain. Le tout avec des ombres et des taches de couleur et dans un flou qui rend la scène presque irréelle. «C’est juste que la vitre était sale», note à ce sujet Darrin Zammit Lupi. En bon photojournaliste, il poursuit : «En ce qui me concerne, je ne fais que shooter ce que j’ai devant moi, les photos sont ensuite un peu ‘nettoyées’, mais pas retouchées ni trafiquées. (…) C’est de la photo-réalité. Tout est vrai. Documentaire. C’est très important, surtout dans ce genre de sujet, que tout soit absolument authentique. Et je ne fais pas l’effort de photographier de manière artistique.»

Pourtant nombreuses sont les photos, parmi les 25 exposées, à proposer bien plus qu’une simple documentation. Il y a ce cliché entièrement bleu, coupé simplement par une petite écume blanche. À première vue, on pense à une baleine. À y regarder de plus près, on se trouve devant une petite embarcation de migrants qui a chaviré. On craint tout de suite pour ses occupants. Si les clichés présentés ont tous été pris entre 2005 et 2014, et ne montrent, volontairement, aucun cadavre, «entre 2015 et 2016 il y a eu une augmentation de 30% des morts par noyade», rappelle le photographe qui n’hésite pas à préciser : «Mon travail est clairement politique.»

«Ils méritent notre protection»

Et il poursuit : «Le but est d’ouvrir les yeux aux Européens sur comment ça se passe. Les Européens et les Maltais ont peur de ces gens, alors que ce ne sont que des êtres humains en détresse.Des gens à Malte disent que ces gens n’ont qu’à devenir de la nourriture pour poisson, qu’on n’a qu’à les laisser mourir en mer. C’est effrayant !» Et conclut : «Ce sont des êtres humains. Ils fuient leurs pays pour de bonnes raisons, sinon, ils ne prendraient pas ces risques. Il faut être profondément désespéré pour entamer un tel périple. Ils méritent notre protection !»

Notre protection et notre respect pourrait-on ajouter. C’est pourquoi à côté de ces photos malgré tout artistiques – on pourrait également citer celle de ce jeune Sénégalais derrière un grillage et dont les yeux et la bouche s’insèrent magnifiquement dans les trous de cette barrière –, on en trouve d’autres beaucoup moins belles, mais tout aussi importantes.

Il y a cette femme qui s’occupe devant sa fenêtre avec, derrière elle, dans sa chambre, de nombreux tags. Aucune grossièreté pour autant, plutôt des prières, des réflexions, etc. Il y a aussi ce dortoir avec ces lits superposés les uns à côté des autres où s’entassent 21 jeunes hommes tous habillés pareils ou presque avec ces t-shirts jaunes ou orange qui ressemblent à des uniformes. On sent une perte d’humanité flagrante dans ce cliché qui n’est pas sans rappeler certaines photos tirées des camps allemands à la fin de la Seconde Guerre mondiale.

Mais le tirage le plus marquant est peut-être celui où au premier plan on aperçoit ces jeunes filles en bikini en train de profiter d’une baignade en mer bien méritée, en arrière-plan la police et l’armée sur un quai du port et, entre les deux, une embarcation gonflable pleine de migrants qui attendent patiemment les instructions.

Des photos choc! Mais comme le choc ne suffit pas toujours, Darrin Zammit Lupi y ajoute le poids des mots. Non seulement chaque cliché est titré, mais surtout la plupart sont accompagnés d’un QR Code qui donne accès à un espace virtuel qui complète le visuel en présentant la personne photographiée, en racontant son histoire, en proposant, parfois, une interview avec elle, etc. De quoi proposer une immersion totale dans la réalité, pas du tout aisée, de ces migrants.

Pablo Chimienti