C’est le plus grand télécrochet du monde, sommet de kitsch pour les uns et événement immanquable pour les autres : l’Eurovision 2025 vient se poser à Bâle en Suisse. La Suède, qui a organisé la dernière édition, se pose déjà en favorite.
Comme tous les ans, l’Eurovision arrive avec son lot de controverses. Les classiques – trop nue, trop sexy, trop caricatural – et depuis l’année dernière à Malmö, en Suède, la guerre à Gaza. La participation d’Israël au concours, vieux de près de 70 ans, qui réunira 37 pays et se conclura par la finale le 17 mai, suscite critiques et remises en question. Début avril, la télévision publique espagnole a demandé un «débat» sur la pertinence de la participation d’Israël à ce concours. Plus de 10 000 personnes en Finlande ont également signé une pétition demandant l’exclusion d’Israël.
L’UER, qui supervise la compétition, compte parmi ses membres des diffuseurs publics de toute l’Europe, ainsi qu’Israël et l’Australie. En 2022, elle avait exclu les diffuseurs russes à la suite de l’invasion de l’Ukraine. Basée à Genève, l’UER dit comprendre les «préoccupations et opinions profondément ancrées autour du conflit actuel au Moyen-Orient», mais estime que tous ses membres sont éligibles pour participer au concours. Des milliers de personnes avaient manifesté pendant toute la durée du concours à Malmö. Cette année, Yuval Raphael, une survivante de l’attaque meurtrière du Hamas contre un festival de musique en Israël le 7-Octobre, représentera Israël à Bâle avec la chanson New Day Will Rise.
En Italie, on s’est plutôt insurgé contre la chanson présentée par le sémillant Tommy Cash pour l’Estonie : Espresso Macchiato. L’association de consommateurs italienne Codacons l’a jugée offensante et demande son exclusion. Mais, peine perdue, les téléspectateurs entendront bien les stéréotypes culturels et les jeux de mots en pseudo italien : «Mi money numeroso, I work around the clocko / That’s why I’m sweating like a mafioso.»
Fesses nues et sauna
La contribution de la Finlande va droit au but, Ich komme, en allemand dans le texte – que l’on traduira par «je jouis» plutôt que le plus sage «je viens», eu égard à la chorégraphie choisie par Erika Vikman, 32 ans. La jeune femme blonde donne un spectacle plein d’énergie célébrant la libération et le plaisir féminin, mélangeant des airs de disco finlandais et de musique électronique. D’autres disent qu’elle flirte avec la pornographie.
Dans sa vidéo, l’artiste porte uniquement un corset en latex noir serré, ses fesses nues exposées, et chante : «Je suis Erika, tu as de l’endurance, frappe moi encore, attrape mes fesses, et quand tu veux encore de l’amour, crie « encore », oui bébé, ich komme.» L’UER lui a demandé d’assagir quelque peu les choses. Vikman dit avoir atténué certains aspects sexuels de sa performance et portera une tenue moins révélatrice à Bâle.
À un mois de la finale, les parieurs ont élu un trio musical comique finlandais qui représente la Suède voisine. KAJ, issu de la communauté suédophone de Finlande, célèbre le barbecue et le sauna dans Bara bada bastu («Allons au sauna»). Sur scène, les trois hommes portent costume cravate avec des danseurs ceint d’une serviette dans un faux sauna. Ce surprenant morceau, avec son refrain comique et accrocheur, est assez différent des airs polis et brillants que la Suède choisit généralement. «La Suède nous a habitués à quelque chose de très produit, presque papier glacé, aujourd’hui, j’ai l’impression que le public est un peu plus sensible à davantage d’aspérités, d’originalité, de singularité», note le journaliste Fabien Randanne, spécialiste de l’évènement. «L’Eurovision est comme un feu de camp autour duquel on se rassemble (…) cela n’a pas besoin d’être très sérieux, ça peut aussi être excentrique», note de son côté Andreas Önnerfors.
Nouvelle chanson pour Nemo
«Au cours des vingt dernières années (…) on a vu tous ces artistes bien policés mais, sous la surface, ce type de musique que KAJ fait est très typique du schlager (NDLR : musique populaire) suédois», note ce professeur d’histoire des idées à l’université Linné. La Suède, qui compte sept victoires à l’Eurovision, est actuellement à égalité avec l’Irlande pour le pays ayant le plus de victoires. Elle a remporté le concours pour la dernière fois en 2023, avec la chanson pop plus conventionnelle Tattoo de Loreen, qui avait déjà remporté la compétition en 2012.
En challenger, les bookmakers placent Wasted Love, interprétée par le contre-ténor austro-philippin Johannes «JJ» Pietsch, 23 ans. Sa voix de fausset, qui rappelle celle de l’inclassable chanteur allemand Klaus Nomi, fusionne des éléments pop et lyriques dans un crescendo qui se fond dans des sons techno. La chanson fait penser à The Code, le morceau qui a valu la victoire à l’artiste non binaire Nemo en 2024 à Malmö et de donner à la Suisse le privilège d’accueillir l’édition de cette année.
L’artiste suisse tenant du titre va pour sa part présenter une toute nouvelle chanson pendant les festivités, a annoncé la télévision publique suisse la semaine dernière. Sur Instagram, Nemo s’est dit «vraiment excité de (s)e produire». La presse germanophone suisse s’est fait l’écho de la pression exercée sur l’artiste pour produire de nouveaux succès.
Selon les bookmakers, le Luxembourg sur le fil
L’édition 2025 de l’Eurovision veut miser sur l’authenticité. Une vingtaine de chansons sur les 37 présentées seront dans une langue autre que l’anglais, «du jamais vu» depuis plus de 25 ans, note le journaliste Fabien Randanne. L’épopée du trio suédois KAJ «va remuer un peu les choses», selon Anderz Wrethov, l’un des paroliers et producteurs de leur chanson. Mais si la Suède, qui domine le palmarès de l’Eurovision avec sept victoires (à égalité avec l’Irlande), reste grande favorite de l’édition 2025, d’autres sérieux concurrents pourraient peser dans cette course, tant que les jeux ne sont pas encore faits.
Bara bada bastu, improbable éloge de l’art du sauna chanté par KAJ au rythme de l’accordéon, se place en haut du classement des parieurs : avec 35 % de chances de gagner selon les bookmakers repris sur le site spécialisé Eurovisionworld, la chanson impose une bonne longueur d’avance sur son potentiel concurrent direct, Wasted Love, de JJ (15 %). Mais l’Autriche ne désespère pas d’une potentielle troisième victoire à l’Eurovision avec ce mix entre «Mariah Carey et Anna Netrebko», les artistes préférées de JJ.
Idem pour la France, qui a fait appel à l’une de ses stars de la chanson, Louane, pour porter haut les couleurs de l’Hexagone avec sa chanson Maman, en hommage à sa mère décédée prématurément en 2014. Troisième du classement des bookmakers (9 %), la chanteuse de 28 ans s’impose comme «l’atout émotion» de l’évènement, selon la publication spécialisée Cocoricovision. Derrière ce trio de tête déjà bien défini, il faudra compter sur Israël avec Yuval Raphael, survivante du festival Nova attaqué par le Hamas le 7 octobre 2023, ainsi que sur les Pays-Bas et Claude, qui, avec C’est la vie, évoque dans des paroles en anglais et en français la résilience de sa famille.
Et le Luxembourg dans tout ça ? Avec sa Poupée monte le son, Laura Thorn stagne chez les parieurs en bas de tableau, au-delà de la 30e place. Le site Eurovisionworld prédit, pour la deuxième demi-finale du 15 mai, à laquelle participera la Luxembourgeoise, une qualification en finale sur le fil, devant l’Irlande, notamment, mais loin derrière Israël, l’Autriche ou la Finlande. La réalité sera peut-être plus heureuse : sa prédécesseure, Tali, avait elle aussi décroché de justesse sa place en finale en 2024, mais s’était assurée une solide 13e place dans le classement final.