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Estimer et assurer l’inestimable, la tâche délicate des assureurs de l’art


Très peu de sinistres majeurs sont à déplorer sur le marché ces dernières années. (illustration AFP)

Un tableau de Monet vendu 110,7 millions de dollars mardi dernier, une sculpture de Jeff Koons à 91 millions le lendemain : l’effervescence du marché de l’art est scrutée de près par les assureurs, chargés de couvrir des œuvres parfois considérées comme inestimables.

En France, « l’assurance des œuvres d’art, c’est une micro-niche », explique Jacques Lemoine, directeur général de la filiale française du courtier spécialisé Eeckmann Art and Insurance. « On évalue entre 15 et 20 millions d’euros de primes d’assurance par an pour les œuvres d’art en France, pour un chiffres d’affaires global de l’assurance dommages d’à peu près 30-31 milliards d’euros. C’est tout petit », ajoute ce fin connaisseur du secteur.

Ce marché très spécialisé n’en est pas moins rentable pour les compagnies d’assurance. De fait, très peu de sinistres majeurs sont à déplorer sur ce marché ces dernières années. Parmi les incidents marquants récemment survenus, un tableau d’Edgar Degas a notamment été volé au Musée Cantini à Marseille fin 2009, avant d’être retrouvé en région parisienne il y a quelques mois. Mais ce type d’événement reste rarissime.

Sinistralité faible

« Il y a de la fréquence principalement pour des petits sinistres qui entraînent des dommages partiels. (…) Le dommage le plus fréquent est le dommage accidentel en manipulation, soit du fait du transporteur, du galeriste ou du propriétaire de l’œuvre », détaille Jacques Lemoine. En France, les œuvres détenues par les musées « sont assurées dès lors qu’elles vont être bougées. Dès lors qu’elles vont être décrochées, mises dans une caisse, transportées en avion, redéballées, mises devant un public. Dès que l’œuvre sort de son cadre habituel, elle est assurée », poursuit cet expert.

À l’inverse, quand elles sont dans leur propre musée, les œuvres « ne sont pas assurées » généralement, ajoute-t-il. En ce qui concerne les particuliers, seuls 15 à 20% des œuvres sur le marché français seraient assurées, selon les chiffres généralement mis en avant par le monde de l’assurance. Pourtant « les objets d’art et de collection sont sujets à de nombreux risques. Les dégâts des eaux font partie des plus fréquents et peuvent endommager considérablement certaines œuvres. Mais il y a aussi les risques liés au transport, aux vols et actes de vandalisme, aux incendies… », explique l’assureur Generali sur son site.

Or au-delà d’une certaine valeur, ces œuvres ne sont pas toujours couvertes par l’assurance habitation. Les propriétaires n’ont alors d’autre choix que de recourir à un contrat spécialisé. Le tarif de ces contrats varie en fonction du montant de la collection. Il peut aller de quelques centaines d’euros par an pour une collection avoisinant les 100 000 euros mais grimper à plusieurs milliers d’euros pour une collection plus conséquente, en fonction de l’assureur.

Professionnalisation des acteurs

« On est face à un monde de l’art qui devient de plus en plus international et dont l’environnement se spécialise », estime Morgan Morris, directrice au sein du courtier SIACI Saint Honoré. Qu’il s’agisse des transporteurs, des musées ou des galeries, « il y a de plus en plus d’intervenants sur le marché de l’art qui sont en train de se professionnaliser », ajoute Morgan Morris. À l’heure où les créations artistiques font le tour du monde au gré des expositions temporaires ou des ventes aux enchères, les techniques de transport notamment sont de plus en plus sophistiquées pour garantir l’intégrité des œuvres. Ce qui permet de limiter les sinistres.

En 2018, le marché mondial des ventes d’oeuvres d’art a cru de 6% pour atteindre un peu plus de 67 milliards de dollars, selon le rapport Art Basel, publié chaque année par la foire internationale d’art contemporain de Bâle et la banque suisse UBS. « Le marché des ventes d’art a cru rapidement et probablement de manière exponentielle durant les 20 ou 30 dernières années. Il s’est développé énormément récemment parce que votre Picasso reste votre Picasso qu’il soit à New York, à Paris ou en Russie. C’est un actif très portatif », affirme Rupert Onslow, expert du secteur de l’art au sein de Channel, le syndicat du réassureur SCOR au Lloyd’s.

Mais si les prix flambent, les primes d’assurance ont elles plutôt tendance à baisser, pour deux raisons. D’une part, « le ratio des sinistres reste bas, ce qui reflète le soin apporté par les propriétaires à leurs œuvres d’art », selon Rupert Onslow. Et d’autre part, l’offre d’assurances est abondante.

LQ/AFP