Accueil | Culture | Espagne : dans la « mer de plastique », des insectes à la place des pesticides

Espagne : dans la « mer de plastique », des insectes à la place des pesticides


En 12 ans, les agriculteurs de la "mer de plastique" ont diminués l'utilisation d'insecticides de 40% grâce au développement de moyens de lutte non-chimique contre les nuisibles. (Photo AFP)

« Ils travaillent pour moi jour et nuit », sourit Antonio Zamora sous sa serre. Ses employés sont invisibles à l’œil nu : de microscopiques insectes chargés de dévorer les parasites menaçant ses poivrons.

Depuis plus de 10 ans, l’agriculteur n’enfile plus sa combinaison pour répandre des insecticides mais accroche aux plantes de petits sachets d’acariens, prêts à partir à l’assaut des indésirables tout en épargnant les végétaux. Ses deux hectares se trouvent pourtant en pleine « mer de plastique », 30 000 hectares de cultures sous serre en Andalousie (sud), symbole d’une agriculture industrielle de plus en plus décriée.

Sous l’étincelante mosaïque de plastique blanc visible de l’espace et bordant la Méditerranée dans la province d’Almeria, poussent toute l’année tomates, concombres, courgettes, poivrons et aubergines qui approvisionnent en masse les supermarchés européens : 2,5 millions de tonnes ont été exportées en 2018 de cette province, ce qui représente la moitié des exportations maraîchères espagnoles.

40% d’insecticides en moins

Comme Antonio Zamora, tous les cultivateurs de poivron d’Almeria ont abandonné en 2007 les insecticides pour le « contrôle biologique », à savoir le recours à des moyens non chimiques pour lutter contre des parasites. Environ 60% des producteurs de tomates de la région d’Almeria s’y sont également mis, 60% pour les concombres et 25% pour les courgettes, selon l’association de producteurs Coexphal.

Selon les autorités, la consommation d’insecticides a diminué de 40% depuis 2007 à Almeria. Une révolution des mentalités alors que le tout-chimique régnait depuis les années 1960. L’apparition de résistances aux traitements et la pression des consommateurs européens ont fait leur oeuvre.

« Nous sommes obligés de changer de cap. Il y a eu un usage exagéré de produits phytosanitaires », reconnaît Jan van der Blom, expert en biocontrôle pour Coexphal. Encarnacion Samblas, de l’association Ecologistes en action, y voit « un pas très positif ».

Un marché en expansion…

Dans de nombreux cas, la diminution des produits chimiques est drastique, et les produits encore utilisés sont plus doux. » Ce nouveau marché aiguise les appétits : le français InVivo, 5,5 milliards d’euros de chiffre d’affaires, vient d’inaugurer au cœur de ces serres une « biofabrique », Bioline Iberia, qui produira 100 000 milliards d’insectes cette année, pour un investissement d’environ 15 millions d’euros.

Dans des salles hermétiquement fermées pour contrôler température et humidité, les employés élèvent quatre espèces d’acariens, qui seront vendus dans la région ainsi qu’au Portugal et au Maroc. Une demi-douzaine d’autres usines du même type se sont implantées ces dernières années dans les environs et une trentaine d’entreprises y commercialisent des insectes, à des prix de plus en plus bas. Grâce à des subventions régionales et européennes, la recherche – au départ plutôt basée en Europe du nord – a mis au point des solutions adaptées aux parasites locaux.

« L’Espagne peut être considérée comme la plus grande zone d’Europe et peut-être du monde en terme d’implantation du contrôle biologique », estime Federico Garcia, directeur commercial de Bioline Iberia.

Mais encore des progrès à faire

Dans ses serres accrochées à la rocaille, Antonio Zamora travaille aussi à améliorer la qualité du sol, en laissant les plantes fanées l’enrichir. Il a planté des arbustes pour favoriser la biodiversité. Mais la chimie reste bien présente en Almeria et le chemin vers une agriculture vertueuse encore long. Beaucoup de fongicides sont toujours utilisés et une grande partie des sols sont toujours désinfectés chimiquement, explique Encarnacion Samblas. « Les agriculteurs continuent à utiliser des produits chimiques d’une manière pas très rationnelle, parce qu’on les leur recommande, qu’on leur en vend. Souvent ils les utilisent par routine, sans savoir précisément pourquoi », assure l’écologiste.

Même les serres classées « bio » – 2 000 hectares certifiés ou en conversion – pêchent souvent par manque d’attention aux sols et à la biodiversité, notamment parce que la réglementation européenne en la matière est très floue, regrette Encarnacion Samblas. L’extension des cultures met par ailleurs sous pression les ressources en eau, tandis que les vieux plastiques des serres terminent dans la mer.

L’efficacité du contrôle biologique se heurte enfin au mode de production intensif car l’absence de pause saisonnière favorise la prolifération des parasites, souligne l’agronome Jose Manuel Torres. Il faudrait que la région entière s’arrête de produire pendant l’été, au moment le plus adéquat pour le repos de ces cultures de fruits et légumes, plaide-t-il. Mais il est bien conscient de la difficulté : l’agriculture représente 20% du PIB de la province et emploie quelque 120 000 personnes.

LQ/AFP