L’Impératrice, sextuor parisien disco-pop, a le vent en poupe avec des chansons entraînantes, aux millions de vues sur internet, et une longue tournée de deux ans où le groupe a fait vibrer les cœurs dans le monde entier. Voilà qu’il arrive samedi à Luxembourg.
Il y a d’abord un nom, avec lequel la formation bénéficie, malgré elle, de l’air du temps en vouant un culte à la féminité, présentée comme légère, sensuelle et sophistiquée. Il y a ensuite un album, Matahari (2018), célébrant le «beat» disco, le groove qui fait bouger les hanches et les synthétiseurs aux nappes érotiques. À la fois chic et postmoderne. Il y a enfin une tournée au long cours, soit plus d’une centaine de dates en deux ans, qui se poursuit en 2020 et qui verra en outre la sortie de leur second disque, attendu. Charles de Boisseguin, le fondateur du groupe en 2012, revient sur le succès d’un groupe qui ne se limite plus à la hype parisienne.
Depuis deux ans, vous tournez énormément. N’est-ce pas un brin usant, voire vampirisant?
Charles de Boisseguin : Non, pas du tout. Je vois ça comme une colonie de vacances (il rit). La route, c’est quelque chose d’enrichissant, car quand on ne dort pas, on rencontre plein de gens. C’est vrai que l’on a beaucoup tourné, des États-Unis à la Turquie en passant par le Mexique, mais à chaque date, on tombe sur un public fervent et aussi bienveillant. Y a pire, non?
Parmi ces nombreuses dates, quelles sont celles qui vous ont le plus marqué?
Il y en a eu plusieurs. Mais s’il faut en choisir une, je dirais le premier concert que l’on a donné à Los Angeles devant 1 000 personnes qui ont hurlé du début à la fin. L’osmose était totale! Et on a eu un véritable coup de foudre pour la ville qui, culturellement, nous a toujours inspirés. Tout n’était qu’amour et effervescence.
À Los Angeles, on était devant 1 000 personnes qui ont hurlé du début à la fin. L’osmose était totale
Pour votre tournée mondiale, vous avez traduit en anglais certaines de vos chansons. Est-ce une nécessité quand on se produit outre-Atlantique?
Absolument pas! En tout cas, c’est ce que l’on a appris sur place. En effet, le public américain ne voulait pas entendre de morceaux en anglais. Alors, on a chanté en français. Il y a quelque chose dans la culture francophone qui les attire énormément. Peut-être la douceur de la langue ou Flore, notre chanteuse, qui arrive à faire passer un message (il rit). Plus sérieusement, les spectateurs étaient séduits même s’ils ne comprenaient rien, pas un seul mot. C’est aussi ça la beauté de la musique, qui reste quelque chose de l’ordre de la sensation.
Quand on propose, comme L’Impératrice, une musique aussi dansante, la scène, est-ce un moment à partager?
C’est un instant unique, différent chaque soir. Et puis, on joue d’une certaine manière en fonction du pays, du public, de la salle. C’est fascinant, d’ailleurs, de voir l’interaction avec les gens, leur façon de recevoir tel ou tel morceau, de bondir sur un basse-batterie, de réagir sur le chant, la guitare… Ça n’est jamais la même chose!
En avril, vous allez même jouer au célèbre festival de Coachella, en Californie . Est-ce l’apogée?
En tant que petit groupe français, oui, il y a quelque chose de grisant, de fantasmagorique à participer à ce festival mythique. Surtout, encore une fois, qu’on n’est pas un groupe majeur de la scène francophone. C’est une fierté, quelque part.
L’Impératrice, dans son nom et ses orientations artistiques, voue un culte à la féminité. Peut-on dire que vous êtes dans l’air du temps?
Il paraît, oui! Aujourd’hui, il y a un message assez fort, solidaire, qui émane de beaucoup d’artistes. Chez nous, par contre, ça n’a jamais été un postulat. À la base, l’idée était surtout de mettre en avant la part de féminité que l’on a tous en nous. Une façon, en somme, de dévoiler ses sentiments. Faire de la musique, c’est une mise à nu de son intimité, comme sortir de sa douche en peignoir alors qu’il y a des gens dans le salon (il rit).
Sur le nouvel album, j’espère qu’on ressentira le soleil de Californie, la médina de Tanger
Si votre musique était une femme, quels seraient ses qualificatifs, ses attributs?
Libre et séductrice. Et dotée d’une grande intelligence du cœur. Un peu comme une espionne, genre Mata Hari!
Justement, votre album, Matahari, sorti en 2018, a mis six ans à se construire. Était-ce un douloureux effort?
Faire un album, c’est coûteux – sachant qu’il ne va pas se vendre énormément. La grande époque du disque étant révolue, on s’est longtemps questionnés sur la pertinence (et la cohérence) d’une telle envie, celle, en l’occurrence, de s’exprimer sur un plus long format. À l’heure du streaming, la manière de consommer a changé. Allez sur la page Spotify d’un groupe : en premier lieu, on tombe sur les morceaux les plus populaires…
Malgré tout, vous avez ressenti le besoin de le faire…
Évidemment, car il y a des enjeux derrière tout ça. Surtout auprès des médias traditionnels, qui parlent des groupes ayant sorti des disques et pas des autres – à moins d’un phénomène. On avait besoin du support de tous et on se voyait mal se présenter comme des « digital natives » qui n’en ont rien à faire de l’avis de la presse. Pour un groupe indépendant comme le nôtre, cette exposition, c’est une réalité! Sans oublier le fait qu’un album permet de dépasser sa zone de confort, une forme d’aboutissement après de longues années de travail.
Il sonne comment, ce disque, aujourd’hui?
On n’entend que les défauts, ce qui est logique après des mois en studio à peaufiner le son. On se dit alors que l’on aurait pu faire mieux, même si ça reste un album enregistré en « live », où l’on entend un groupe de six musiciens. Ça me touche parce que ça se perd, notamment avec ces nouveaux producteurs avec lesquels tout passe par les ordinateurs. Ça manque clairement d’humanité. Matahari est certes plein de maladresses, mais il respire la vie.
Depuis janvier 2018, vous avez fait une pause de huit mois pour préparer votre second album. À quoi va-t-il ressembler?
Faire la même chose, ce serait idiot et pas enrichissant. Pour ce nouveau disque, on s’est notamment inspirés de notre tournée à travers laquelle on a acquis une plus grande exigence. J’espère qu’on ressentira le soleil de Californie, la médina de Tanger… Ce sera un voyage, disons, moins francophone.
Vos fans vous reconnaîtront-ils?
(Il sourit) Oui, c’est certain! On a une approche de l’harmonie très à nous. Cette légèreté, cette approche de l’émotion seront bien là. On n’a jamais lâché ce postulat selon lequel on veut faire de la musique en confrontant deux sentiments contraires : joie et mélancolie, colère et allégresse… C’est le cœur de ce qu’on fait, une sorte de langage universel, une question de ressenti. Oui, en musique, c’est très important de jouer avec les sentiments.
Entretien avec Grégory Cimatti
Atelier – Luxembourg. Samedi à 20h.