Deux ans après le succès de Boîte noire, Yann Gozlan plonge Diane Kruger dans une spirale cauchemardesque entre fiction et réalité, toujours dans le monde de l’aviation.
Lorsqu’on lui demande s’il ne nourrirait pas une obsession secrète pour les avions, Yann Gozlan le reconnaît : «C’est vrai que c’est un univers qui me plaît beaucoup.» Deux ans après l’impressionnant Boîte noire, film sur l’enquête d’une catastrophe aérienne sans précédent (fort de plus d’un million d’entrées en France), le réalisateur a voulu raconter l’histoire d’une perte de contrôle avec Visions, son cinquième long métrage et nouveau thriller, son genre de prédilection. Mais cette fois, si les avions sont bien présents, ils ne sont pourtant pas le sujet du film. Le spectateur y suit Estelle (Diane Kruger), commandant de bord dont la vie est parfaitement millimétrée… Jusqu’au retour de son premier amour lesbien, joué par l’Espagnole Marta Nieto, qui va tout faire basculer.
D’emblée, le film plonge le spectateur dans une atmosphère étrange, oppressante, quasi mystique. «Le fait qu’elle soit pilote de ligne, c’est important. C’est un métier qui demande énormément de maîtrise et de contrôle, et comme je voulais parler du dérèglement, cela faisait sens», a détaillé le réalisateur à l’occasion du Festival du film francophone d’Angoulême, fin août, où Visions était présenté hors compétition. Une maîtrise qui prend fin lorsqu’Estelle commence à faire des rêves étranges, presque prémonitoires et qui se confondent avec la réalité.
Des rêves qui vont s’accentuer au moment de la disparition de son amante. A-t-elle été quittée? Lui est-il arrivé quelque chose? Est-ce que le mari d’Estelle, campé par Mathieu Kassovitz, est l’homme bienveillant qu’il paraît être ou est-il toxique? Toutes ces questions jalonnent le récit, rythmé par une musique qui permet de maintenir le suspens, jusqu’au bout. «Le film est pensé comme une énigme à résoudre», souligne son réalisateur. «J’avais vraiment envie de plonger le spectateur dans la psyché et le mental d’Estelle. Au spectateur de trier le vrai du faux et de se faire un avis.» Alternant réalité et imagination, Visions entraîne le spectateur dans un tourbillon de suspense.
«Quand j’écrivais, j’avais des images d’actrices hitchcockiennes, comme Tippi Hedren», la star de The Birds (1963) et Marnie (1964), raconte Yann Gozlan. «Au moment du casting, l’image de Diane (Kruger) s’est imposée à moi. J’étais persuadé qu’elle allait pouvoir incarner cette femme qui nous impressionne par sa maîtrise et son contrôle, tout en ayant cette fragilité en elle.» Quant à Mathieu Kassovitz, son partenaire à l’écran, «il a cette ambivalence en lui», loue Yann Gozlan. «Il peut passer de la douceur à la menace, ce que peu d’acteurs réussissent à faire.» L’acteur et réalisateur de 56 ans, connu notamment pour le film La Haine (1995), a été grièvement blessé dans un accident de moto survenu dimanche. Après plusieurs opérations, il a été sorti du coma hier et son entourage a assuré dans l’immédiat que ses jours n’étaient pas en danger.
«J’ai sauté de joie quand j’ai lu le rôle», a réagi l’actrice, aussi bien habituée à des productions hollywoodiennes qu’à des films d’auteur français. «Je cherchais un vrai beau rôle pour mon retour en France parce que j’ai eu ma fille et, ensuite, il y a eu le covid et ça faisait quatre ans que je n’avais pas pu tourner en France», poursuit-elle, disant aimer «les personnages qui ont l’air de tout contrôler mais qui ont une zone d’ombre», à l’instar de celui qui lui a valu le prix d’interprétation à Cannes, en 2017, dans le thriller In the Fade, du réalisateur allemand Fatih Akin. «J’aime beaucoup tourner (en France) car les gens sont amoureux du cinéma, ils aiment bien leurs acteurs et je trouve que c’est rare qu’un pays célèbre ses propres acteurs», a-t-elle déclaré.
L’actrice et ex-top model, que l’on a pu voir outre-Atlantique chez Quentin Tarantino (Inglourious Basterds, 2009) ou Wolfgang Petersen (Troy, 2004), et qui sera l’année prochaine à l’affiche du nouveau film de David Cronenberg, The Shrouds, n’a pas mâché ses mots concernant le mouvement de protestation historique des scénaristes et acteurs à Hollywood. En marge de la présentation de Visions à Angoulême, Diane Kruger a déclaré : «La création et l’originalité, c’est quelque chose qu’on doit protéger à tout prix», en référence à l’intelligence artificielle, l’un des points de contentieux dans cette grève. «Mais il n’y a pas que ça», ajoute-t-elle aussitôt. «Cette grève, c’est vraiment parce que les studios aux États-Unis sont radins. On n’a pas ça en France (…) Les horaires de travail sont incroyables : une journée normale de travail là-bas, c’est entre 14 et 16 heures», pour des salaires qui ne sont pas à la hauteur.
Visions, de Yann Gozlan.