Une clientèle de passionnés, des prix faramineux : le marché de la bande dessinée franco-belge attire désormais les grandes maisons d’enchères, comme Sotheby’s et Christie’s qui organisent en mars à Paris deux importantes ventes dans l’espoir de séduire des investisseurs internationaux.
Christie’s va proposer une couverture et une planche d’Astérix et Obélix estimées chacune à plus de 100 000 euros. (Photos : AFP)
C’est une première intrusion dans le monde de la BD pour Sotheby’s, mais la deuxième pour Christie’s qui avait réalisé plus de 4 millions d’euros de chiffre d’affaires (avec frais) lors d’une vente organisée en avril 2014. Les deux poids lourds du monde des enchères « souhaitent prendre part à la flambée des prix » de ces dernières années, selon Artcurial, maison française qui vend des BD depuis 10 ans et détient le record du monde pour une bande dessinée, avec une planche originale de Tintin de 1937 vendue 2,6 millions d’euros en mai 2014.
Le 7 mars, Sotheby’s mettra en vente 288 oeuvres originales, planches ou illustrations, dont une cinquantaine signées Hergé. Parmi celles-ci, un dessin à l’encre de Chine datant de 1938 est estimé entre 430 000 et 480 000 euros. Une semaine plus tard, Christie’s, associé à la galerie française Maghen, organisera le 14 mars la vente de 446 oeuvres, avec 10 originaux de la main du père de Tintin, estimés au total à 1,5 million d’euros.
Connu dans le monde entier, « Hergé enchaîne les records », constate Bernard Mahé, spécialiste BD chez Sotheby’s. Et ce n’est pas prêt de s’arrêter, selon Eric Leroy, expert chez Artcurial, car « Tintin appartient à l’histoire ». De plus, « il devient très dur de trouver aujourd’hui des dessins d’Hergé de grande qualité. Les oeuvres sont déjà parties dans des collections particulières et ne ressortiront plus ».
Mais Hergé a ouvert la voie et d’autres artistes franco-belges voient également leur cote s’envoler. « Pour les grands maîtres comme Hergé, Franquin, Moebius, Bilal ou Tardi, les prix ont été multipliés par dix ou quinze en 15 ans », assure Daniel Maghen, propriétaire de la galerie du même nom. « Cette génération d’auteurs à fait passer la BD d’un divertissement populaire à un art majeur », estime-t-il.
> Nostalgie francophone
Sotheby’s met ainsi en vente une affiche d’Enki Bilal pour le film « Mon oncle d’Amérique » dédicacée au metteur en scène Alain Resnais, et une planche de la BD Gaston Lagaffe par André Franquin, toutes les deux estimées entre 65 000 et 75 000 euros. La couverture de l’album « Celtiques » de Corto Maltese par Hugo Pratt est, elle, estimée entre 220 000 et 240 000 euros.
Le marché est « francophone à 90% », selon M. Leroy. Sa force est justement qu’il repose sur la nostalgie et on ne compte pas quand il s’agit de sa « madeleine de Proust ». Mais, note Bernard Mahé, « il y a de nouvelles personnes, plus jeunes, qui s’y intéressent ». Cependant, « la BD européenne n’a pas encore conquis le monde », relève M. Leroy. « Le côté décoratif des dessins peut convaincre à l’étranger, mais pas les planches de Spirou ou d’Astérix ».
L’arrivée des deux maisons d’enchères renommées sur ce secteur montre qu’il y a tout de même une volonté d’élargir la clientèle à l’international. Si la BD reste un secteur de passionnés à 90%, « depuis peu, des investisseurs commencent à entrer sur le marché », relève Daniel Maghen, car les prix commencent à être suffisamment élevés pour les intéresser. L’expert reconnaît que seuls les dessins permettront d' »atteindre le marché mondial », mais il est confiant. Pour lui, « Manara, Bilal ou Tardi sont les héritiers de Vermeer, de Georges de la Tour ou de Gustave Doré ».
AFP