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En Syrie, un cinéma itinérant émerveille les enfants des zones kurdes


De rares moments d'insouciance pour ces enfants qui ont grandi pendant la guerre. (photo AFP)

Devant un écran installé dans la cour de leur école, des enfants s’esclaffent en découvrant les pitreries en noir et blanc de Charlie Chaplin grâce à un cinéma itinérant qui parcourt depuis quelques semaines le nord-est de la Syrie.

Avec un projecteur, un écran, un ordinateur et des haut-parleurs sous les bras, le réalisateur Chiro Hindi et son équipe sillonnent la région pour « répandre » le 7e art. « Notre objectif d’ici un an est de faire en sorte que chaque enfant dans le Rojava ait vu un film de cinéma », ambitionne le cinéaste kurde de 39 ans, utilisant le nom donné à la région semi-autonome instaurée par sa communauté à la faveur du conflit syrien.

Avant de lancer son projet, Chiro Hindi a réalisé Histoires de cités sinistrées, un film qui relate les destructions de villes kurdes, dont Kobané, où ont eu lieu les premiers combats entre les forces kurdes et l’État islamique.

Dans le village de Sanjak Saadoun, les enfants attendaient de pied ferme le début de The Kid, réalisé par Chaplin en 1921, la plupart n’ayant jamais vu de film au cinéma. Assis dans la cour près du terrain de basketball sur des chaises en plastique dépareillées, ou debout, faute de place, certains échangent avec le réalisateur. « Nous avons déjà projeté des films dans des villes, nous voulions que les enfants des villages puissent en profiter » eux aussi, explique Chiro Hindi, cheveux frisés et moustache encore plus fournie que celle de l’idole du cinéma muet. Tandis que le générique commence, les enfants s’émerveillent et leurs yeux s’écarquillent. Leurs rires entrecoupent les scènes muettes du film, surtout au moment où le comédien donne à manger à l’enfant à l’aide d’un arrosoir.

L’espoir en toile de fond

L’idée d’un cinéma ambulant a émergé après plusieurs tentatives vaines de sédentariser le projet dans un centre culturel ou une salle de projection. Quant au choix de Charlie Chaplin, il a été motivé par le désir de faire connaitre l’histoire du cinéma à des enfants qui ont grandi pendant la guerre. Mais l’équipe projette aussi des films français ou encore des dessins animés, doublés en kurde. « Nous voulons les sensibiliser au cinéma international, depuis sa création », explique le cinéaste.

Longtemps absent des villes et villages du nord-est syrien, même avant le déclenchement de la guerre, le cinéma reste quasi inexistant aujourd’hui dans les zones kurdes, la plupart des salles s’étant transformées en lieux de réception ou de concerts. La mémoire collective reste par ailleurs marquée par un incendie, déclenché en 1960 dans un cinéma d’Amouda, non loin de la frontière turque, qui accueillait des écoliers. Plus de 280 enfants avaient alors péri. « Durant mon enfance, le cinéma représentait cet endroit sombre », se souvient Chiro Hindi. Avec ce projet « j’ai voulu remplacer cette obscurité par des couleurs. »

Dans le village de Chagher Bazar près d’Amouda, il projette le film d’animation Spirit, l’étalon des plaines, sorti en 2002, qui raconte l’histoire d’un cheval durant la conquête de l’Ouest aux États-Unis au XIXe siècle. Dans la cour de l’école, les enfants s’empressent de s’asseoir. Quelques hommes du village n’ont pas hésité à rejoindre le public juvénile. Certains, comme Adnane, 56 ans, n’ont pas vu de film sur grand écran depuis des décennies. « Il y a plus de quarante ans, je regardais les films à travers les fenêtres » qui donnaient sur une salle de projection, raconte-t-il. « Et voilà qu’aujourd’hui mes deux enfants » sont là et « ravivent mes souvenirs », se réjouit-il.

Si l’initiative permet de divertir le public, l’expansion du cinéma dans le nord-est de la Syrie à plus long terme fait partie des rêves de l’équipe de Chiro Hindi. Objectif : créer des salles de cinéma et organiser des festivals en collaboration avec des cinéastes étrangers. « Mais cela dépendra de la fin de la guerre et du retour à la stabilité », souffle le réalisateur.

LQ/AFP