Sa notoriété a grandi avec les meurtres et les incendies d’églises : malgré un passé sulfureux et son rejet inné des institutions, le black metal norvégien a gagné ses lettres de noblesse et s’expose désormais à la Bibliothèque nationale d’Oslo.
Clips truffés de croix en feu, album provocateur illustré des restes d’une église calcinée et distribué avec un Zippo, journaux faisant la chronique d’une histoire judiciaire agitée… «Bad Vibes» illumine un univers musical occulte qui, derrière sa virulence dérangeante, cultive un côté contemplatif, limite intellectuel. «Ici, tout tend à tourner autour des sentiments», explique le conservateur de l’exposition, Thomas Alkärr, avec des voix caverneuses en fond sonore. «La raison d’être du black metal, ce n’est pas de coucher avec plein de femmes : c’est de regarder l’abîme…»
Apparu au milieu des années 1980 dans une Norvège lisse et lénifiante, le black metal se veut le refus du conformisme, prônant un retour aux sources où la forêt, par exemple, joue un rôle central. Nourri de mythologie scandinave, d’histoires vikings, de légendes populaires et d’imaginaire sataniste, le récit est mis en musique avec des sonorités brutes, abrasives, saturées, dont la production est délibérément primitive. «Le principal message du black metal, c’est que l’obscurité est quelque chose de bien», résume Dan Eggen, un ex-footballeur professionnel devenu philosophe.
Depuis bientôt quatre décennies donc, dans les petites localités provinciales poussent comme des champignons des groupes formés par des outsiders qui, le visage grimé en noir et blanc, bardés de cartouchières et de bracelets à pointes, hurlent leur différence. La sage Norvège accouche de poids lourds comme Mayhem, Darkthrone, Burzum, Satyricon, Immortal, Emperor, Dimmu Borgir, dont les noms franchiront les frontières. Parfois portés par la chronique judiciaire.
«Mangeurs de bébés»
En 1993, alors que le milieu est plombé par les conflits et les menaces, le bassiste Varg Vikernes poignarde à mort le guitariste et chanteur de Mayhem, Øystein Aarseth. L’année suivante, il est condamné pour ce meurtre, mais aussi pour différents incendies d’églises qui, à l’époque, se multiplient, y compris de bâtiments centenaires réduits en cendres par une poignée de membres du black metal. Plus tard, Varg Vikernes, installé en France, y sera inquiété par la justice pour de présumées visées terroristes et des écrits extrémistes.
«Une raison importante pour laquelle le black metal norvégien a gagné un tel statut, en tout cas à l’étranger, c’est ce qui s’est produit dans ces années-là», affirme Thomas Alkärr. «C’est pour cela qu’il est perçu comme encore plus diabolique que les autres.» Pourtant, cette image de «mangeurs de bébés» qui lui colle à la peau n’est due, selon lui, qu’à quelques individus radicaux. «La vérité, c’est que la plupart sont des gens qui aiment regarder les épreuves de ski dans un fauteuil, des musiciens professionnels et des pères de famille qui se passionnent pour une musique un peu pointue», précise le conservateur.
La raison d’être du black metal, ce n’est pas de coucher avec plein de femmes : c’est de regarder l’abîme
Voix discordantes
Mais vu sa nature contestataire, le black metal, qui fuit l’ordre institutionnel comme la peste, a-t-il sa place dans les vénérables murs d’une bibliothèque nationale? «Oui, c’est une forme de paradoxe», reconnaît Marte-Kine Sandengen, la responsable des expositions de la bibliothèque. «Mais on ne peut ignorer que le black metal norvégien est une composante importante de l’héritage culturel national.» «Un aspect de notre mandat est de partager cet héritage avec le public, pas seulement la culture mainstream comme Ibsen, Hamsun et les autres grands auteurs, mais aussi des voix discordantes», fait-elle valoir.
Et puis, le black metal s’est assagi au regard de la loi et est entré depuis belle lurette dans les mœurs. Aujourd’hui en Norvège, on peut voir Dimmu Borgir se produire avec l’orchestre symphonique de la radio nationale et Satyricon accompagner une exposition du musée Munch. Le black metal y a aussi son festival (Inferno), sa propre catégorie «Grammy Awards» norvégiens, ses interprètes en herbe dans les tremplins musicaux et sa popularité mondiale a même conduit le ministère des Affaires étrangères à y initier ses diplomates. Ailleurs, les préjugés ont la vie dure. En mars, les autorités brésiliennes ont annulé un concert de Mayhem, soupçonné, à tort, d’être néonazi.