Des créateurs iraniens délaissent le noir, la couleur la plus commune dans le pays, pour offrir aux femmes des tenues colorées et décontractées, en prenant garde à ne pas franchir les limites du strict code vestimentaire en vigueur.
Symbole des années post-révolution de 1979, le tchador noir n’a pas totalement disparu. Mais il n’occupe qu’une petite place parmi la cinquantaine de vêtements présentés par le festival national de la mode, organisé cette semaine à Téhéran. Les mannequins y portent des foulards ou de longues robes aux motifs floraux, des manteaux cintrés à la taille et des pantalons serrés. «Je ne peux pas porter un voile sombre sur la tête. Il doit être coloré, sauf dans certaines occasions comme un deuil», témoigne Fatemeh Fazeli, une étudiante de 19 ans venue visiter l’exposition. «Les jeunes veulent avoir la liberté de porter comme ils veulent des vêtements dans le vent», renchérit Sanaz Sarparasti, couturière depuis 15 ans à Téhéran.
À l’origine, la révolution islamique de 1979 a imposé un code obligeant les femmes à ne laisser découverts que leurs mains et leur visage, et à dissimuler leurs formes. Mais dès la décennie 1990, les Iraniennes ont commencé à jouer avec les règles pour s’en affranchir. Notamment dans les quartiers chics des villes. Pour autant, les plus conservateurs des dirigeants s’arc-boutent sur la défense des règles vestimentaires, dans lesquelles ils voient le symbole de valeurs «révolutionnaires» qui résistent aux influences de l’Occident. Le débat est revenu en force, se concentrant sur le voile, lorsqu’un vaste mouvement de contestation a secoué l’Iran à la suite de la mort en détention de Mahsa Amini, une jeune femme de 22 ans arrêtée pour non-respect de ce code.
«L’habillement est le symbole le plus visible de toute civilisation», a souligné le ministre de la Culture et de la Guidance islamique, Mohammad-Mehdi Esmaïli, lors de sa visite de l’exposition. En insistant sur le caractère «chaste» des traditions islamiques iraniennes. Dans un tel contexte, «lorsque je conçois des vêtements, je prends d’abord en considération les normes en vigueur, avant de penser à la beauté, la créativité et la nouveauté», explique Sanaz Sarparasti.
S’adapter est aussi le maître-mot d’Afshin Parsaee, patron de la marque Raspina, présente à l’exposition avec une longue tunique de soirée verte et grise. «La plupart de nos clientes ont entre 15 et 35 ans, donc nous proposons des vêtements colorés», indique-t-il. «Mais comme les règles en vigueur préconisent des couleurs plus foncées pour les vêtements portés en société, nous devons également en confectionner.» Le port du voile et d’une longue tunique sombre est notamment obligatoire pour les femmes travaillant dans les administrations.
Afshin Parsaee ne cache pas s’inspirer des tendances lancées par les créateurs occidentaux, que «nous marions avec notre culture», ce qui «marche plutôt bien jusqu’à présent». Étudiant la mode à l’université, Hadis Hassanlou insiste sur «la réelle originalité de la mode perse» qui n’a cessé d’évoluer depuis l’empire achéménide, il y a plus de 2 500 ans, en passant par la monarchie Qajar du début du XXe siècle. La jeune apprentie-couturière cultive cet héritage avec la calligraphie, un art populaire en Iran, qu’elle applique sur les vêtements qu’elle crée. «La combinaison de motifs anciens et contemporains rendent ces tenues très séduisantes», se réjouit l’étudiante Fatemeh Fazeli, devant une robe décorée de dessins s’inspirant des miniatures perses.
La mode iranienne «peut séduire en dehors des frontières», affirme Hadis Pazouki, présidente de la Fondation nationale de l’habillement. Ses espoirs se portent vers les pays du Golfe, et pourquoi pas «vers Paris, Milan et Londres», capitales de la mode occidentale. En Iran même, le défi des jeunes couturiers est de réussir à vivre de leurs créations dans un contexte de forte inflation et de concurrence des vêtements faciles à porter vendus à faible prix dans les bazars ou les centres commerciaux, souvent importés d’Asie ou de Turquie.