L’eau n’est qu’à 16 degrés mais une quarantaine d’hommes, nus comme des vers, profitent du soleil dans un bassin extérieur isolé en banlieue de Pékin. « Ici, c’est le paradis des naturistes chinois », proclame Zhen, 18 ans, un tigre tatoué sur la poitrine.
Le petit étang, situé en contrebas d’une ligne à haute tension, d’un bâtiment préfabriqué et d’une colline arborée, est l’unique et improbable lieu naturiste de la capitale chinoise. Et l’un des rares de Chine.
Le pays a une tradition de pudeur: les décolletés sont rares, la pornographie interdite et la nudité strictement limitée dans les films. Pourtant, le naturisme défraye la chronique depuis une dizaine d’années et les espaces réservés — même non-mixtes comme celui de Pékin — sont régulièrement fermés par les autorités.
Mais à Fangshan, en périphérie de la capitale, d’irréductibles baigneurs de tout poil, gens du cru ou ouvriers venus d’autres régions, bravent la morale à un kilomètre d’une zone habitée. « Ça fait 20 ans que des gens se baignent nus ici. On n’y prête même plus attention », assure un villageois de 84 ans, qui précise toutefois que des riverains se sont plaints aux autorités.
« On ne dérange personne. Évidemment, il faut aussi respecter les habitants », déclare en se shampouinant Xiao Li, un cadre dans la chimie qui a découvert le lieu via des collègues de travail et y vient pour « évacuer la pression ».
Derrière lui, des quinquagénaires bronzés — sans aucune trace blanche — fument en jouant aux cartes autour d’une table en bois usé, dans un joyeux vacarme. Des jeunes sautent dans l’eau depuis une plateforme. Aucune femme cependant à l’horizon. « Elles sont les bienvenues, mais n’osent pas venir. Les tabous sont encore très ancrés », justifient en chœur les messieurs.
« C’est pervers »
Les installations sont rudimentaires: des chaises en plastique, un fil rouillé en guise de corde à linge, et deux baraques en brique rouge frappées de l’inscription « Baignade interdite ».
Selon la loi, toute personne « exposant volontairement son corps dans un lieu public » peut être condamnée à une détention administrative de cinq à 10 jours. « Mais la police fait preuve de souplesse », nuance l’avocat Zhang Zhigang: « Elle intervient dans les lieux publics très fréquentés. Dans les endroits isolés, elle se contente de demander aux naturistes de partir. »
M. Ha, 80 ans, affirme « nager nu depuis 30 ans » et venir quotidiennement au bassin. « Mais le naturisme ne se développe pas vite en Chine. Les mentalités sont encore trop arriérées », dit-il.
« Pour la plupart des Chinois, le naturisme, c’est pervers. Ils considèrent cela comme du harcèlement sexuel ou de l’exhibitionnisme », déclare Fang Gang, chercheur et auteur en 2012 du livre « Les nudistes », premier ouvrage publié en Chine sur le sujet.
Le pays compte pourtant d’innombrables spas ou sources thermales en intérieur où la nudité est la norme, et le bain nu fait partie des traditions de minorités ethniques. Pas moins d’un Chinois sur 10.000 pratique le naturisme, soit 140.000 personnes, estime M. Fang, un chiffre « en augmentation ». Mais le pays compte seulement une poignée de sites réservés et la Chine, comme la plupart des pays d’Asie, entretient une relation ambivalente avec cette pratique.
Des randos tout nus
L’unique plage naturiste de Chine a ouvert au début des années 2000 sur l’île tropicale de Hainan (sud), avant d’être fermée en 2014 à la suite de plaintes de vacanciers. « Les gens normaux ne se baignent pas et ne bronzent pas nus en public », avait alors tonné le chef de la province.
En 2009, un centre de baignade entouré de bambous devait accueillir les naturistes près de la ville de Hangzhou (est), mais en avait été empêché au dernier moment par les autorités. Son patron avait pourtant reçu l’aval du gouvernement et investi 500.000 yuans (66.000 euros).
À l’époque, un sondage montrait que 60% des internautes « acceptaient » le naturisme et 57% jugeaient l’ouverture du site incriminé « tout à fait normale ». « Le naturisme est davantage accepté qu’avant », constate M. Zheng, 49 ans, qui travaille dans le marketing et se baigne nu à Fangshan depuis 10 ans. « Même ma femme me comprend », sourit-il.
Il montre avec fierté des clichés de lui posant en tenue d’Adam devant des pics montagneux, uniquement vêtu d’un sac à dos. « Avec d’autres naturistes rencontrés sur les réseaux sociaux, on organise des randonnées tout nus autour de Pékin », explique-t-il.
Aucune fédération n’existe cependant pour réunir les naturistes chinois, souligne Fang Gang, le chercheur. « Sans leader, sans revendications, notamment la reconnaissance publique du naturisme, changer les mentalités sera difficile. »
Le Quotidien / AFP