Pour la première fois au Luxembourg, le metteur en scène français Emmanuel Meirieu vient présenter Mon traître. Un théâtre où la grande et la petite histoire se rencontrent.
À la veille de sa première représentation, ce soir, et son premier passage au Grand-Duché, le metteur en scène et acteur français Emmanuel Meirieu a accepté de nous en dire un peu plus sur son parcours et plus particulièrement sur la création de sa pièce Mon traître, adaptés des romans du journaliste et écrivain Sorj Chalandon. Une histoire professionnelle et artistique dans laquelle l’humain joue le rôle principal et les émotions en sont son vecteur principal.
Vous avez plongé dans le monde du théâtre dès le plus jeune âge, à trois ans au cours d’un petit festival que vos parents avaient créé. Vous n’avez pourtant jamais fait d’école de théâtre. Qu’est-ce qui vous a poussé à continuer dans cette direction pour en faire votre métier?
Emmanuel Meirieu : Cela fait maintenant plus de 20 ans que je suis acteur et metteur en scène professionnel. Je pense que si j’ai décidé de continuer dans le monde du théâtre plutôt que dans un autre domaine artistique, c’est principalement parce que je suis profondément attaché à l’humain et au vivant. Le théâtre, contrairement au cinéma par exemple, est un des seuls modes de création qui offrent une prestation humaine en direct. J’ai aussi toujours été fasciné par les épopées, les grandes histoires, voire toutes les histoires, et le théâtre est un vecteur idéal pour continuer à les raconter.
Depuis votre révélation en 2011, au théâtre des Bouffes du Nord à Paris, avec le spectacle De beaux lendemains, adapté du roman éponyme de Russel Banks, vous avez continué à concevoir des pièces adaptées d’œuvres littéraires, dont Mon traître qui est né de deux romans de Sorj Chalandon. Qu’est-ce qui vous attire tout particulièrement dans les adaptations de romans plutôt que dans l’écriture théâtrale?
L’adaptation est en effet devenue ma spécialité! J’aime les romans, les histoires, je trouve beaucoup d’émotions dans la littérature et tout particulièrement dans les romans à caractère autobiographique comme les ouvrages de Sorj Chalandon dont est né mon spectacle Mon traître. Je me laisse totalement guider par mes émotions et mon instinct dans le choix des adaptations, mais j’ai bien évidemment un penchant pour les histoires qui combinent à la fois la fresque historique et la petite histoire humaine au cœur de celle-ci. J’ai besoin de trouver des histoires qui me collent à la peau, pour lesquelles je vais avoir, à chaque représentation, la même énergie pour la transmettre.
L’adaptation est un travail très particulier qui est trop souvent minimisé dans le théâtre mais qui demande beaucoup de temps et d’implication. Pour Mon traître, j’ai travaillé près de deux ans sur l’adaptation, je suis passé de 125 000 mots à 6 000, pas en tranchant dans le texte ou en résumant comme certains pensent, mais en reconstruisant l’histoire, en me l’appropriant pour qu’elle devienne mes propres mots.
Vous avez créé Mon traître en 2013 à partir des romans Mon traître et Retour à Killybegs de Sorj Chalandon qui raconte l’Irlande insurgée à travers son histoire personnelle et la relation qu’il a entretenue avec un des leaders charismatiques de l’IRA, Denis Donaldson. Comment vous êtes-vous emparé de cette histoire tragique pour créer une mise en scène épurée et juste?
J’aime faire du théâtre dans une économie de moyens, le minimum de mots pour un maximum de sens, je suis extrêmement attaché à la simplicité tout en étant généreux. Je pense que le théâtre ne devrait jamais être une débauche de moyens. J’aime la précision et le soin à chaque détail, je choisis chaque mot, chaque acteur, chaque mouvement de lumière. La simplicité de la mise en scène ne veut pas forcément dire qu’il n’y en a pas, mais chaque élément est important, le son, les projections, les éclairages.
Le grand challenge après l’adaptation a été le choix du casting : trouver les bonnes personnes pour habiter ces trois personnages, prêtes à devenir ces personnes, à puiser leurs émotions et à les rendre au public. C’est une histoire qui nous parle de l’insurrection irlandaise mais surtout d’amour, d’amitié, de trahison. C’est une histoire universelle, une tragédie, qui nous interroge sur le pardon de l’autre mais surtout de soi-même. Là, ce sont trois de mes fidèles acteurs qui interprètent la pièce, Jean-Marc Avocat, Stéphane Balmino et Laurent Caron.
Depuis 2013 et la première de la pièce, quels ont été vos plus beaux moments durant cette aventure?
Les larmes du public! C’est ma plus belle récompense! Ce ne sont pas des larmes de douleur mais des larmes de soulagement, le public pleure par compassion pour ce que vivent les personnages; on les aime ces trois-là. Le plus beau moment de cette aventure et de toute ma carrière restera sans hésiter les larmes de Sorj Chalandon lorsqu’il a vu la pièce pour la première fois. C’est son secret, sa blessure, son histoire personnelle que je raconte et, la première fois, on a beaucoup pleuré ensemble à l’issu de la représentation. Depuis, il vient très souvent voir la pièce, nous sommes devenus amis, c’est pour moi l’un des plus grands auteurs français actuels.
Mylène Carrière
Grand Théâtre – Luxembourg.
Jeudi soir et vendredi à 20 h.