Ses sujets ont deux jambes ou quatre pattes, ont été des chiens anonymes ou des stars de cinéma. Le photographe Elliott Erwitt est à l’honneur au musée Maillol de Paris, pour une grande exposition rétrospective.
Des humains et des chiens, des villes et des plages : à deux ou quatre pattes, l’Américain Elliott Erwitt, 94 ans, a photographié le vivant comme aucun autre, pour faire «rire ou pleurer ou les deux à la fois». À travers 220 clichés en noir et blanc et en couleur réalisés entre 1949 et les années 2000, une grande rétrospective présente jusqu’au 15 août, au musée Maillol à Paris, le regard décalé et «plein de respect» de cette figure de la photographie, inspirée par Henri Cartier-Bresson et Robert Doisneau. «Un bourreau de travail à l’humour humaniste qui vient de son intelligence et de sa tendresse pleine de respect pour les êtres vivants», dit Mio Nakamura, son assistant et directeur de studio depuis 15 ans, qui a fait le déplacement à Paris sans Elliott Erwitt.
L’exposition s’ouvre sur une immense photo en noir et blanc de jambes féminines bottées, encadrées par des pattes de grand chien et un petit spécimen de la gente canine chapeauté, tenu en laisse. Commandé à Erwitt pour une marque de chaussures, «elle révolutionne le regard puisque celui du photographe est au niveau de celui du chien. Une approche de l’être vivant, sur deux ou quatre pattes, qui place toute cette humanité au même niveau», explique Isabelle Benoît, cocommissaire de l’exposition déclinée en huit thèmes sélectionnés par le photographe.
Les chiens, le couple, les femmes, les plages, les enfants, les villes, l’abstraction, les musées… «Il a tout couvert sauf la guerre, c’est un photographe qu’on a presque qualifié de « total »», souligne Isabelle Benoît. Le noir et blanc est réservé à son travail personnel, «intime». Il se qualifie de «photographe « amateur » au sens italien du mot : « qui aime » la photographie», souligne-t-elle, devant des clichés de couples, parmi lesquels des nudistes californiens, déclenchant invariablement l’hilarité, mais aussi l’admiration.
«Émotions contradictoires»
La photo de son premier enfant, nouveau-né endormi près de sa mère et d’un chat dans un décor minimaliste d’une grande douceur, voisine avec deux photos d’enfants qui traduisent toute la singularité de l’artiste. Le premier regarde le photographe derrière la vitre d’une voiture avec un impact de balle au niveau de son œil droit. Le second est un enfant noir qui pointe un revolver-jouet sur sa tempe en souriant. «La violence sans la réalité de la violence. Il fera cadeau de la première à son opticien. La seconde est l’une de ses préférées car pleine d’émotions très contradictoires», commente la commissaire.
Né en 1928 en France de parents émigrés russes, Elliott Erwitt a grandi en Italie avant d’émigrer aux États-Unis à la veille de la Seconde Guerre mondiale. Il réside à New York depuis des décennies. Rentré chez Magnum en 1953, il a été photoreporter pour les grands magazines de la presse illustrée des années 1950 et 1960.
Photos de Marilyn
Une série de photographies en couleur, présentées pour la première fois, témoigne d’un autre regard que celui répandu par les médias de l’époque sur la Pologne, la Tchécoslovaquie et la Hongrie en pleine guerre froide : des scènes de vie quotidienne, parmi lesquelles des Polonais se confessant en pleine rue. D’autres clichés en couleur retracent Elliott Erwitt photographe de mode et photographe commercial dans tous les domaines : chimie, assurances, entreprises, tourisme… «Remarquable portraitiste des personnalités politiques ou d’artistes du 7e art», il a photographié Marilyn Monroe à la célèbre robe qui vole dans The Seven Year Itch (Billy Wilder, 1955) ou sur le tournage de The Misfits (John Huston, 1961), un cinéma qu’il apprivoisera avant de devenir lui-même réalisateur.
Si Doisneau fait partie de ses sources d’inspiration, «la révélation est venue d’une photo de gare de Cartier-Bresson, avec chez lui une forme d’humour plus présente dans l’instant décisif», selon Isabelle Benoît. Rarement mises en scène, les photos d’Elliott Erwitt sont celles d’un photographe «qui est dans ce monde, ne montre pas le côté sympathique des choses, mais une vérité qui dit autre chose que la banalité du réel qu’il transfigure», dit Richard Kalvar, photographe américain de Magnum qui réside en France, grand admirateur du travail de son aîné.
Jusqu’au 15 août. Musée Maillol – Paris.