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Elliott Erwitt, l’espiègle en noir et blanc


Né le 26 juillet à Paris en 1928 de parents russes, Elliott Erwitt grandit à Milan avant d'émigrer aux Etats-Unis en 1939 avec sa famille. (Photo AFP)

L’Américain Elliott Erwitt, un des piliers de l’agence Magnum qui a annoncé jeudi son décès à 95 ans, était l’un des seuls grands photographes à faire rire avec ses images où il capturait avec espièglerie et tendresse les hasards de la vie.

On doit à cette tête de file de la photographie subjective américaine les légendaires instantanés de Castro et du Che en 1964, la robe blanche de Marylin s’envolant au-dessus d’une bouche d’égout, le G.I. tirant la langue en pleine guerre de Corée et le chihuahua coiffé d’un bonnet de laine fixant anxieusement l’objectif de ses yeux asymétriques.

En 70 ans de carrière, ce « photographe de rue », aussi doué que Cartier-Bresson pour saisir « l’instant définitif » et que Robert Capa pour son sens de l’histoire, a immortalisé hommes politiques, stars de cinéma, couples, enfants et des centaines de chiens qu’il photographiait comme des « gens avec plus de poils ».

« Certaines personnes pensent que mes clichés sont tristes, d’autres pensent qu’ils sont plutôt drôles. Mais en fin de compte, triste et drôle, n’est-ce pas la même chose? », affirmait-il sans jamais se prendre au sérieux.

Né le 26 juillet à Paris en 1928 de parents russes, Elliott Erwitt grandit à Milan avant d’émigrer aux Etats-Unis en 1939 avec sa famille. Après dix années à New York, il déménage à Los Angeles, se met par facilité à la photographie – « on peut faire des images sans effort et sans formation » – et travaille bientôt comme tireur dans un laboratoire spécialisé dans les portraits de stars.

« California kiss »

Conscrit dans l’armée en 1951 comme assistant photographe, il peut continuer à travailler pour plusieurs titres alors qu’il est posté dans le New Jersey, en Allemagne et en France. Avant de démarrer son service, il rencontre à New York les photographes Edward Steichen (alors à la tête du département photographique du Musée d’art moderne de New York MoMA), Roy Stryker et Robert Capa qui deviennent ses mentors. A son retour en 1953, ce dernier le parraine pour entrer dans le temple du photojournalisme, l’agence Magnum.

« Grand chanceux », il fait le tour du monde plusieurs fois mais choisit de ne pas immortaliser les drames de l’histoire. C’est alors l’âge d’or des magazines: il contribue à Collier’s, Look, LIFE, Holliday.

Il croque un Nixon hargneux pointant un doigt rageur sur Khrouchtchev, Jackie Kennedy sous sa voilette aux obsèques de son mari, un tendre aparté entre sa femme et son nourrisson de fille ou encore une vieille Russe en bigoudis. Avec « California kiss » – deux amoureux s’embrassant dans le rétroviseur d’une voiture garée le long du Pacifique – il résume en un cliché les promesses de félicité sur la côte ouest américaine.

Dans les années 70, il contracte le virus de la vidéo et commence à tourner des documentaires sur le Japon, la musique country ou le vitrail, puis des programmes de télévision comiques et satiriques pour la chaîne américaine HBO. Il affirmait que son vrai boulot était la publicité (en couleur) et la photographie, son « hobby » (il n’a jamais dérogé au noir et blanc).

Alter-ego

Son espièglerie l’avait conduit à s’inventer un alter-ego, André S. Solidor, qui lui permit d’exprimer toutes ses exubérances de photographe contemporain.

Marié quatre fois, père de six enfants et propriétaire de huit chiens, il concédait avoir travaillé jusqu’au bout, par nécessité financière. A 90 ans, il publiait en 2018 un livre sur l’Ecosse.

Un conseil pour les débutants ? « Avec des célébrités, vous ne pouvez pas vous planter. Même avec la pire photo du monde. Prenez seulement des photos de personnalités. Elles n’ont pas besoin d’être bonnes. Bien centrée, avec assez de marge pour pouvoir la couper ».