Rien de bien nouveau à l’Opderschmelz, à Dudelange, qui a présenté mardi, en grande partie, la suite de son programme de la saison en cours. Il offre une place de choix, bien évidemment, au jazz… et aux femmes.
Bon an, mal an, le centre Opderschmelz continue son petit bonhomme de chemin, parfois enchanté par des succès à répétition (Kannerbicherdag, Like a Jazz Machine…), d’autres fois moins enclin à sourire face à une salle vide (son festival Touch of Noir pourrait être arrêté prochainement). «La culture est une histoire de patience», soutient ainsi Danielle Igniti, directrice des lieux. «Il faut travailler pour s’imposer face à une concurrence énorme», poursuit-elle, décontenancée lorsqu’elle découvre l’ampleur des propositions au Luxembourg.
Rien de bien nouveau, en somme, mais un constat prégnant : rien n’est jamais gagné, surtout quand on s’impose une programmation exigeante «touche à tout», «sans populisme» et «soucieuse de qualité», avec, de surcroit, une large partie consacrée aux artistes nationaux. Heureusement que la commune veille au grain et, soutien sans faille, met la main à la poche – on estime à 6 millions d’euros la part du budget alloué à la culture.
Pas sûr, en effet, que le public suive les appels du pied de l’établissement qui fait, une fois encore, dans le généraliste (avec un accent particulier mis sur le jazz de haute facture, sa signature), mais il devrait être présent, comme chaque année, pour d’appréciables temps forts (Zeltic, Like a Jazz Machine, fête de la Musique, Summerstage) où Puggy, Éric Truffaz ou Bojan Z sont d’ores et déjà annoncés.
Un paquet de «Girls, Girrls, Grrrls» à l’affiche
C’est sous l’appellation «Girls, Girrls, Grrrls» que le centre Opderschmelz rend hommage aux dames, surtout en musique, en dehors de quelques exceptions. Cette année, deux cas rares : le retour à Dudelange de la chorégraphe Yuko Kominami, avec son compagnon Tomas Tello, tous deux récemment partis pour le Portugal, avec la pièce Dreaming Scarlet Medusa; et la venue du duo Sascha Ley-Sylvia Camarda pour une reprise de Mi Frida, célébrant sur les planches la peintre Frida Kahlo et son art. Rayon concerts, l’offre est conséquente, d’abord avec une double réjouissance, la même soirée, avec le jazz-world de Cyminology, porté par la chanteuse d’origine iranienne Cymin Samawatie, et avec le sextet Philémon, proche de la musique de chambre comme des élans ternaires.
Dans la foulée, en mars, quatre «mecs» – Giovanni Guidi, Louis Sclavis, Gianluca Petrella et Gerald Cleaver – mettront à l’honneur l’actrice-réalisatrice américano-britannique Ida Lupino. Le trio local Dora, lui, né en 2015 et travaillant à l’École régionale de musique de Dudelange, jouera les morceaux de compositrices du XIXe siècle. «Une femme de poigne pour une musique puissante…» Voilà comment l’Opderschmelz définit Céline Bonacina (photo), qui revient dans le sud du pays, armée de son saxophone, pour la troisième fois. Enfin, un peu de blues, avec une bête montante du genre : la belle Joanne Shaw Taylor, déjà doublement primée aux Brit Awards.
Le 17 mars. L’évènement
Bienvenue dans le monde de la musique improvisée avec la projection, en avant-première, du nouveau documentaire du cinéaste luxembourgeois Antoine Prüm, qui s’intéresse à la personnalité hors normes du Suédois Sven-Åke Johansson, chantre du genre, et poète-plasticien à ses heures.
Juste après le film, deux concerts sont organisés, avec le maître en personne : pour le premier (Hudson Songs), il sera accompagné par le pianiste Alexander von Schlippenbach, dont l’amitié remonte à 1964… Pour le second, il sera entouré de la formation Barcelona Series (feat Rüdiger Carl). Une soirée singulière qui risque de marquer les oreilles et les esprits.
Des lectures (surtout) pour les enfants
C’est, en ce moment, le gros motif de satisfaction du centre Opderschmelz : le Kannerbicherdag, huitième du nom, qui, chaque année, prend toujours plus d’importance. «Toutes les éditions, on est obligé de refuser du monde», explique-t-on du côté de l’organisation, qui a pourtant agrandi ce salon littéraire destiné aux plus jeunes, avec «20% de stands en plus pour 2017». Sur place, nos chères têtes blondes pourront rencontrer des auteurs, s’amuser à créer à travers deux ateliers de fabrication de pin’s et de livres – «toujours remplis» – écouter quelques lectures, se mettre dans la peau d’un auteur-compositeur («La Fabrique à chanson»), assister à un théâtre de marionnettes et profiter plus que de raison, bien évidemment, de toutes les sucreries et pâtisseries qui passeront à portée de leurs mains. «Le Kannerbicherdag est devenu une véritable institution, commente-t-on à Dudelange. En mettant le focus sur les productions luxembourgeoises, le succès ne ralentit pas.» Ce qui fait encore dire à l’organisation : «On essaye de valoriser la lecture face à la montée en puissance des écrans. Cette réussite ne peut que nous réjouir…» Le 28 janvier.
À noter que les adultes ne seront pas négligés, puisque l’Opderschmelz accueillera aussi la quatrième édition du Printemps poétique transfrontalier avec, au programme, des résidences (Dudelange recevra Natascha Denner), une tournée de lectures poétiques, des rencontres pédagogiques et deux nouveautés majeures.
Coups de gueule sur les planches !
L’Opderschmelz fait aussi dans le théâtre, et de différentes manières. D’abord, avec le cabaret, genre toujours prisé par le public luxembourgeois. Jay Schiltz, l’un de ses représentants, sera sur scène avec Béierdeckels- Gespréicher où, c’est promis, il ne parlera pas de politique… Déi eng an déi aner, de Roland Kalté, étudiera quant à lui les rapports (tendus) entre humains.
Dans une habitude régulière de collaborer avec le théâtre du Centaure, Dudelange accueillera Les Justes, d’Albert Camus, son œuvre théâtrale la plus forte, ici mise en scène par Marja-Leena Junker avec un casting de haut niveau (Luc Schiltz, Brigitte Urhausen, Sophie Langevin, Mathieu Moro, Franck Sasonoff, Hervé Sogne et Jérôme Varanfrain). «Une pièce plus que d’utilité publique aujourd’hui», en ces temps troubles, explique l’organisation. Enfin, avec Lëtzebuerger Fräiheetslidder, les chansons militantes (ouvrières, anticléricales, guerrières…) se reprendront le poing gauche levé. «On le fait facilement dans le Sud !»
Du jazz, évidemment, mais pas que…
Dudelange est une terre de jazz et il convient d’entretenir l’histoire. L’esprit maison ? Combiner groupes luxembourgeois et internationaux «de qualité» et suffisamment «intéressants». Ainsi, l’École régionale de musique de la ville, sous l’appellation «Nos interprètes», est bien représentée, par l’entremise de ses enseignants. D’abord, avec le duo «Inverse Percussion Project» de Bernard Grodos (Belgique) et Luc Hemmer (Luxembourg). Ensuite, avec le Luxembourg Clarinet Choir. Enfin, avec le nouveau Random Trio, pour un voyage à travers différentes cultures.
Les stars internationales sont aussi du rendez-vous. En premier lieu, Philip Catherine, véritable légende vivante de la scène jazz européenne et des guitaristes marquants de sa génération, sera pour la première fois à l’Opderschmelz – il était jusqu’alors habitué de L’Inouï à Redange, aujourd’hui fermé. Le même soir, le saxophoniste belge Nicolas Kummert, porté par l’afro-jazz, sera aussi de la partie. Le trompettiste de génie Avishai Cohen Quartet célèbrera également sa première fois dans le sud du pays. Le musicien israélien (photo) est considéré comme l’un des dignes héritiers de Miles Davis.
Dans un autre genre, Mark Eitzel, après son annulation l’année dernière, viendra faire apprécier son talent pour la guitare et les textes engagés, avec, sous le bras, un dixième album solo : Hey Mr Ferryman. Marc Demuth et l’«Inuk-Project Abri’Lux» lèvera le poing, en musique, pour l’anniversaire de la révolution portugaise.
Grégory Cimatti