Les géants du rap Drake et Kendrick Lamar ont échangé insultes et accusations par «diss tracks» interposées, provoquant une onde de choc dans le monde de la musique. Retour en dates sur une rivalité qui a vite explosé.
La brouille couve depuis des années, elle a explosé ces derniers jours. Les géants du rap Drake, 37 ans, et Kendrick Lamar, 36 ans, ont échangé insultes et accusations dans pas moins de neuf chansons publiées en à peine plus d’un mois. On remonte la chronologie d’un «beef» complètement fou.
22 mars
Like That : Kendrick met le feu aux poudres
Dans First Person Shooter (paru fin 2023 sur le dernier album de Drake, For All the Dogs), J. Cole assurait que lui, Drake et Kendrick Lamar formaient le «big three» du rap américain. Dans le couplet assassin qu’il éructe sur le premier album commun de Future et Metro Boomin, Kendrick met le feu aux poudres : il n’y a pas de «big three».
«It’s just big me», lance-t-il, triomphant. Avant de glisser que «Prince a survécu» à Michael Jackson, en référence à une autre fameuse rivalité de la pop – Drake ayant comparé son succès, toujours dans First Person Shooter, à celui du chanteur de Thriller.
5 avril
7 Minute Drill : J. Cole répond… et regrette
L’album surprise de J. Cole Might Delete Later se conclut par une longue charge contre Kendrick Lamar, son image et sa carrière («Ton premier album était classique, ton dernier était tragique»; «Quatre albums en douze ans, je peux faire la division»).
Deux jours après sa sortie, l’artiste regrette déjà, supprime 7 Minute Drill de l’album et le retire de toutes les plateformes. Depuis, le garçon fait profil bas.
19 avril
Taylor Made Freestyle : L’erreur de parcours
Après une entrée en matière avec une «diss track» aux attaques faciles (Push Ups, sorti le 13 avril), Drake enfonce le clou. Les voix de 2Pac et de Snoop Dogg recréées avec une intelligence artificielle (IA) pour s’en prendre à Kendrick Lamar ? On s’étonne même que Drake ait trouvé l’idée bonne.
Autocentré, le rappeur continue de tourner en rond dans ses paroles, et se prend le revers du bâton sans trop de délai. La meilleure réaction ? Celle de Snoop Dogg, le vrai, sur Instagram : «Il a fait quoi? Quand? Comment? Vous êtes sûrs? Passez une bonne nuit (…) Moi, je vais me coucher.» Un sage conseil de tonton Snoop que Drake aurait dû appliquer.
21 avril
Like That Remix : le grain de sel de Kanye
Personne ne lui a rien demandé? Qu’importe, l’occasion était trop belle pour que Kanye West reste silencieux sur le «beef» qui enflamme tout le rap US.
Sous l’alias ¥$ (le duo qu’il forme depuis peu avec Ty Dolla Sign), «Ye» produit son remix de Like That et lâche son couplet, dans lequel il accuse Drake d’avoir compromis son intégrité artistique pour de l’argent et y va de son commentaire sur la musique du Canadien («Je ne saurais même pas citer une phrase de Drake»). Simple mais efficace.
30 avril
Euphoria : Kendrick, deuxième round
À l’écoute d’Euphoria, on admet que la rivalité Drake-Kendrick Lamar était jusqu’alors gentillette. Le rappeur de Compton ne retient plus les coups, désormais, et attaque le Canadien sur sa famille («J’ai un fils à élever, mais je vois que ça ne te dit rien»), ses opérations présumées de chirurgie esthétique, dont un «Brazilian butt lift» (BBL) et des abdos tout beaux tout neufs, ainsi que la pauvreté de sa qualité artistique, décriant entre autres son utilisation de l’IA.
3 mai
Guerre éclair
Trois chansons en un jour : le premier week-end de mai s’annonçait chaud, chaud, chaud dans la guerre entre «Drizzy» et «K-Dot». D’abord, l’ironie de Kendrick Lamar, qui rappe sur une production signée Jack Antonoff, producteur de Taylor Swift, pour faire mentir son rival, à qui il signale aussi qu’il y a des «taupes» dans son label.
Le même jour, Drake répond avec Family Matters, dans lequel il suggère que des infidélités voire des excès de violence ont entaché la relation entre Kendrick et sa fiancée, Whitney Alford.
Et le Californien de répliquer immédiatement avec Meet the Grahams et son «beat» sinistre et ralenti : dans les cinq couplets de la chanson, Lamar s’adresse à Drake, son père, sa mère, son fils et… une fille, dont Drake aurait caché l’existence.
C’est la plus cruelle des «diss tracks» échangées jusqu’alors, mais pas encore la plus violente.
4 mai
Not Like Us : K-O. technique
Le visuel de Not Like Us montre une vue satellite de la maison de Drake, les nombreux points rouges censés représenter les prédateurs sexuels qui y vivent. «Tu cherches à toucher la bonne note, c’est probablement une mineure», s’amuse Kendrick Lamar, rappant sur les «pédophiles certifiés» que seraient Drake et son entourage – à commencer par son garde du corps, emprisonné par le passé pour trafic d’êtres humains.
«K-Dot» enchaîne les uppercuts sans temps mort, sur un «beat» signé Mustard franchement grandiloquent. À l’issue du morceau, une certitude : Kendrick Lamar gagne par K.-O. technique.
5 mai
BBL Drizzy : le fin mot de Metro Boomin
Le lendemain de la publication de Not Like Us, Drake nie en bloc ce dont l’accuse Kendrick Lamar et affirme que la rumeur d’une fille cachée était une fausse histoire que l’entourage du Canadien avait fait fuiter, dans The Heart Part 6, dernier titre en date du «beef».
Mais c’est à Metro Boomin, acteur majeur de cette rivalité, que revient le fin mot. Celui que Drake avait sommé de «s’en tenir aux tambours» livre donc une composition instrumentale, dans laquelle brille un sample soul saveur Motown (mais créé par IA) qui insiste sur l’opération de chirurgie esthétique que Drake aurait réalisée en secret.
Le «beatmaker», qui a mis le morceau en téléchargement libre sur sa page SoundCloud, a également promis 10 000 dollars à qui livrera son meilleur «freestyle» sur l’instru.
7 mai
Le silence des icônes
Dans la nuit du 6 au 7 mai, une fusillade éclate au domicile de Drake. Un blessé, plus tard identifié comme un agent de sécurité, est transporté à l’hôpital. C’est la goutte d’eau, le signe que la guerre entre les deux artistes est allée trop loin.
La police n’a pas établi de lien avec le «beef», mais il est évident que, dans ces jours de vive querelle, la situation a échappé aux principaux personnages de l’histoire. Drake comme Kendrick Lamar sont restés silencieux depuis.
Ce qui ne résout pas vraiment le problème : pour que la rivalité prenne fin, il faut que l’un des deux reconnaisse sa défaite. Et s’il fallait encore se demander qui est vainqueur, une simple observation : l’un a un prix Pulitzer, l’autre pas.
«Diss tracks» et rivalités d’anthologie
Les «clashs» entre poids lourds du rap font partie de la culture hip-hop : 2Pac et Biggie, Jay-Z et Nas, ou encore tous les anciens du groupe N.W.A. se sont attaqués à coups de morceaux interposés, les «diss tracks». Tour d’horizon de celles qui ont marqué la culture hip-hop.
No Vaseline – Ice Cube (1991)
Le départ prématuré d’Ice Cube du groupe N.W.A. lui avait valu de nombreuses attaques de la part de ses anciens copains. Sur No Vaseline, dont le titre suffit à faire comprendre la violence dont il fait preuve ici, le voilà qui lave son linge sale en public, intimant à Dr. Dre de rester derrière ses machines de production plutôt que de rapper.
Mais les attaques les plus virulentes sont dirigées vers Eazy-E, accusé d’avoir injustement exploité ses collègues avec la complicité de l’ex-manager du groupe, Jerry Heller (qui a lui droit à son lot d’insultes antisémites).
Fuck Wit Dre Day (And Everybody’s Celebratin’) – Dr. Dre feat. Snoop Doggy Dogg (1993)
Il aura fallu attendre le premier album de Dr. Dre, le classique The Chronic, pour que le No Vaseline d’Ice Cube ait une réponse. Le DJ devenu MC mène la danse, renvoyant à son ancien collègue la même vulgarité dont ce dernier avait fait preuve dans son attaque.
Mais c’est à Snoop Dogg que revient l’honneur de lancer la dernière pique, imparable : «Quand tu manques de respect à Dre, tu manques de respect à toi-même». Une pierre angulaire de la «diss track», et encore aujourd’hui un signe d’excellence du rap West Coast.
Who Shot Ya? – The Notorious B.I.G. (1995) / Hit ‘Em Up – 2Pac (1996)
Indiscutablement la plus célèbre rivalité de l’histoire du rap américain, la guerre entre The Notorious B.I.G. et 2Pac a donné lieu à un échange de «diss tracks» devenues légendaires : dans Who Shot Ya?, Biggie menace son rival (sans jamais le nommer), après que celui-ci aurait «enfreint le Onzième commandement : « Tu ne t’embrouilleras pas avec Poppa »».
La parole revient ensuite à 2Pac, qui commence Hit ‘Em Up ainsi : «Je n’ai pas d’amis, c’est pour ça que j’ai couché avec ta meuf, gros porc». L’intro donne le ton d’une «diss track» parmi les plus violentes jamais écrites, sortie trois mois avant l’assassinat de 2Pac à Las Vegas.
Lost Ones – Lauryn Hill (1998)
Il est toujours utile de rappeler que The Miseducation of Lauryn Hill est l’un des plus grands albums de l’histoire du rap américain. Dans un mélange d’amertume et de rage, l’ex des Fugees vide son sac sur Wyclef Jean, «l’hypocrite qui joue à l’innocent» à qui elle s’adresse dans un certain nombre des chansons de l’album, dont I Used to Love Him.
Mais c’est bien Lost Ones qui introduit le disque : un «retour de karma» en chanson, avec des «punchlines» qui font mal, et une observation implacable : «Certains se méprendront, croyant que ceci n’est qu’une simple chanson».
Takeover – Jay-Z (2001) / Ether – Nas (2001)
Les héritiers du trône new-yorkais, laissé vacant après la mort de The Notorious B.I.G. en 1997, étaient tout trouvés : Nas, auteur du légendaire N.Y. State of Mind (1994), et Jay-Z, adoubé par Biggie en personne au détour d’un Brooklyn’s Finest (1996).
Le Queens contre Brooklyn, deux visions du rap radicalement différentes. Sur Takeover, Jay-Z répète à Nas à quel point il le considère comme un rappeur «minable» et en perte de vitesse, quand lui s’autodéfinit comme le «dieu MC».
En réponse, Nas glisse qu’il compte parmi les trois meilleurs rappeurs, avec… 2Pac et Biggie. Et de ridiculiser celui qu’il rebaptise «Gay-Z». En 2005, le patron de Roc-A-Fella invitera Nas à le rejoindre sur scène, mettant officiellement fin à la querelle.
The Story of Adidon – Pusha T (2018)
Souvent attaqué, Drake a toujours rendu les coups. Mais The Story of Adidon, que Pusha T avait accompagné d’une (vraie) photo de Drake en «blackface», a plus d’importance que toutes les autres «diss tracks» dans lesquelles il était nommé.
«King Push» y révèle l’existence du fils de Drake, Adonis, tourne en ridicule les parents du rappeur, lui lance qu’il n’est «pas assez noir» et l’accuse d’avoir recours à des «ghostwriters» qui écrivent ses textes dans l’ombre.
Drake ne s’en est jamais vraiment remis, et les mots de Pusha T serviront de parole d’évangile pour qui voudra continuer à s’en prendre au Canadien. À commencer par un certain Kendrick Lamar.