Accueil | Culture | « Despacito », de Luis Fonsi, fait monter la fièvre du reggaeton

« Despacito », de Luis Fonsi, fait monter la fièvre du reggaeton


Luis Fonsi et Daddy Yankee enflamment les dancefloors du monde entier avec le langoureux "Despacito". (photo AFP)

Avec « Despacito », le tube du moment signé Luis Fonsi, ce style de Porto Rico accède (enfin) à la notoriété mondiale.

Le reggaeton, originaire de Porto Rico (États-Unis), est depuis longtemps une musique incontournable des boîtes de nuit dans les pays hispanophones, mais il n’était jamais parvenu à percer ailleurs. Du moins, jusqu’à la chanson Despacito… Boudé par les élites, le genre remporte en effet un succès international avec ce titre de Luis Fonsi. C’est le premier morceau en espagnol à devenir numéro 1 du classement américain des singles Billboard Hot 100 depuis la Macarena en 1996.

Un remix sur lequel apparaît le rappeur portoricain Daddy Yankee, avec la collaboration de la star de la pop Justin Bieber, a déjà passé cinq semaines arrimé en tête de ce classement. Le reggaeton se caractérise par des rythmes rapides aux saveurs jamaïcaines appréciés des boîtes de nuit avec des paroles aux sonorités de rap, souvent teintées de machisme.

Il a décollé à Porto Rico dans les années 1990, après avoir été considéré comme un courant «underground». Les Portoricains ont joué un rôle particulièrement actif dans la naissance du hip-hop à New York, dont la rythmique arrivait du Panama où des Jamaïcains et d’autres populations des Caraïbes travaillaient à la construction du canal. «La musique underground était essentiellement pour faire la fête, mais elle a aussi procuré un espace d’expression politique pour aborder les problèmes comme la pauvreté, la brutalité policière et le racisme», explique ainsi Petra Rivera-Rideau, professeur assistant en études américaines au Wellesley College et auteur de l’ouvrage Remixing Reggaeton.

Deux milliards de vues sur YouTube

À mesure qu’il a pris de l’essor, ce style «a été soumis à une campagne de censure au milieu des années 1990 qui, ironiquement, lui a fait de la publicité et l’a présenté à de nouvelles audiences», relève-t-elle. Ses critiques ont dénoncé son hyper-sexualisation, le Sénat portoricain tenant même des auditions en 2002 sur la représentation des femmes dans les clips. Reste que, toujours selon Petra Rivera-Rideau, le reggaeton a fourni un nouveau mode d’expression, en particulier pour les Noirs de ce territoire américain des Antilles.

«Le reggaeton a offert une opportunité aux artistes de tresser des connexions avec la diaspora africaine au sens large, en particulier la jeunesse noire urbaine, et cela a menacé la doctrine fondamentale en matière de démocratie raciale parce qu’il a dénoncé le racisme à Porto Rico», dit-elle.

Despacito, qui signifie «très lentement» en espagnol, se déroule sur un rythme reggaeton avec des paroles jalonnées d’allusions sexuelles. Justin Bieber chuchote le premier vers, comme à bout de souffle, puis chante un peu plus tard en espagnol. Le chanteur canadien a collaboré au remix réalisé en avril, mais le titre original était déjà un méga-hit dans les classements hispaniques. Le clip de la première version, sorti en janvier, a été visionné à plus de 2 milliards de reprises sur YouTube.

C’est Justin Bieber, selon Luis Fonsi, qui a eu l’idée de prendre part au remix après avoir entendu la chanson dans une boîte de nuit de Colombie. Sa participation a permis «de révéler la chanson à de nombreuses personnes qui ne l’avaient jamais entendue», estime Petra Rivera-Rideau. Mais ce n’est pas le premier succès du chanteur portoricain âgé de 39 ans. Depuis une vingtaine d’années, il s’est fait remarquer avec des ballades et de la pop latino-américaine plutôt qu’avec du reggaeton. «Certaines personnes ont dit que Justin Bieber s’appropriait le reggaeton pour son propre gain, c’est peut-être le cas, mais on pourrait aussi considérer que Luis Fonsi fait la même chose – emprunter un genre associé à une communauté marginalisée pour son propre succès commercial», remarque Petra Rivera-Rideau.

Dans un entretien au magazine Rolling Stone, Luis Fonsi a indiqué qu’il n’était pas parti pour écrire «un disque transversal». «J’ai senti que j’avais besoin d’un petit peu plus de mouvement», a-t-il expliqué. «C’est dans cette direction que va la pop latino : c’est le bon moment pour mettre un peu de rythme dans ce disque.»