Connu dans l’art urbain, l’artiste Eric Mangen présente actuellement à Neimënster le résultat de dix jours de résidence. L’exposition révèle le peintre longtemps caché sous le graffeur.
Le grand public l’a découvert lors de l’émission Generation Art en 2012. Eric Mangen a depuis bien évolué dans sa recherche et sa pratique de la peinture. Invité par Neimënster pour une résidence de dix jours, il a développé une véritable réflexion sur sa pratique artistique et sur le medium de la peinture lui-même. Une exposition étonnante qui joue des codes de l’art… qu’ils soient sur un mur ou sur une toile!
C’est à la fin des années 1990 que l’artiste Eric Mangen découvre l’art urbain (ou street art) en sortant du lycée et en tombant nez à nez avec un artiste peignant sur le mur en face. Totalement fasciné, il décide de lui demander de lui apprendre cet art et ses techniques. C’est alors qu’il l’accompagne pendant quelque temps, prenant part petit à petit à cet art passé de la clandestinité aux cimaises des musées en quelques années. Poussé par son envie d’aller plus loin dans la création de ces fresques murales, il s’installe à Barcelone, une des grandes capitales du graffiti.
«À cette époque, je peignais tous les jours, pendant deux ans. J’allais seul ou en équipe réaliser des fresques ici ou là. Et puis ça a commencé à m’ennuyer, je trouvais cela de plus en plus monotone», explique Eric Mangen. C’est en 2008 qu’il décide alors de rentrer au bercail, laissant un peu sa création de côté. «Je continuais à faire quelques projets graffiti ou des commandes, mais j’avais de plus en plus envie de me consacrer à la peinture sur toile», ajoute-t-il.
Après son passage à l’émission-concours Generation Art en 2012, il décide de se consacrer entièrement à sa peinture en tant qu’artiste indépendant. Ainsi, pour la première fois, il a été invité lors d’une résidence Hors les murs à créer, sur place, son exposition pour l’abbaye de Neumünster. Le résultat est fascinant et bien loin de ce qui est attendu dans le street art.
«J’adore l’idée du street art, de l’exposition dans l’espace public, forçant tout un chacun à se confronter à l’art durant son quotidien. Seulement, le graffiti et les graffeurs ont bien changé de réputation en dix ans, passant de voyous à artistes que tout le monde s’arrache, les marques, les pubs, la décoration… On est devenu bankable!», ironise Eric Mangen.
La liberté dans la peinture
C’est aussi cela qui l’a poussé à explorer la peinture dans sa forme la plus traditionnelle tout en gardant certains aspects de l’art urbain, comme l’utilisation de la peinture en bombe ou le fait de peindre ses toiles dans l’espace public. Ce ne sont pas moins de 23 toiles qu’Eric a réalisées en seulement dix jours sous les yeux de qui passaient par là.
De l’abstraction à la figuration, en passant par des jeux de superposition de matière et de figures, on est bien devant une nouvelle réflexion et de nouveaux gestes de cet artiste. On y retrouve les codes de l’art urbain et tout ce qui y est associé (musique, sport, énergie…), mais aussi ceux de l’histoire de l’art, et certaines de ses toiles ne sont pas sans rappeler certaines œuvres du mouvement Supports/Surfaces qui interrogeaient justement la matière.
«Ces toiles sont pour moi comme le journal intime de mes dix jours passés ici, ça a été une sorte de performance de réaliser ces œuvres. Invoquant à la fois mes souvenirs et mes émotions, dépassant la fatigue, je me suis senti réellement libre et ça me fait du bien. J’ai appris énormément durant ces dix jours, que ce soit en tant qu’artiste ou individu», conclut Eric Mangen.
Si la bombe est effectivement toujours bien présente, Eric Mangen nous entraîne ici dans un monde très personnel où les couches se superposent, se brisent, s’entrechoquent comme autant de bribes émotionnelles et mémorielles qui semblent surgir de la toile. On a tellement envie d’aller gratter pour découvrir ce qu’il se cache sous certains aplats, et pourtant le secret restera bien gardé, non pas sur les murs de l’abbaye comme le laisserait penser le genre du street art, mais bien sur les toiles de l’artiste.
Mylène Carrière
Neimënster (cloître et jardin
Lucien-Wercollier) – Luxembourg.
Jusqu’au 15 janvier 2018.