Qu’est-ce qui est gris-brun, porte son petit dans une poche et bondit gaiement à l’ouest de… Paris ? Incroyable mais vrai, des kangourous vivent à l’état sauvage dans les Yvelines depuis une quarantaine d’années, situation unique en France.
«Un voisin me dit : « t’as vu le kangourou? », raconte Marylène, épicière du village d’Hermeray. Il est tôt en ce matin de juin 2014. «Je lui réponds: T’as fumé la moquette ? ».
La commerçante se rend à l’évidence: l’animal est là, «devant le portail, comme s’il attendait l’ouverture de l’épicerie! Ensuite, il s’est mis à naviguer sans trop se préoccuper du code de la route».
Comme elle, d’autres habitants du sud des Yvelines ont un jour croisé un wallaby de Bennett (son nom exact), marsupial placide et sympathique originaire de Tasmanie, dans le sud de l’Australie. Dans leur jardin, en bord de route, curieux face aux chasseurs ou encore… mort dans une piscine.
A l’origine de cette anomalie géographique: la réserve zoologique de Sauvage, dans le village d’Emancé. Dans les années 1970, à la faveur de brèches dans le grillage à l’origine incertaine (orage, vandalisme, négligence ?), un groupe de wallabies se fait la belle. D’autres suivront à plusieurs reprises.
L’histoire aurait pu s’arrêter à une série d’évasions. Sauf que ces wallabies-là se sont reproduits et implantés: une situation «unique en France», relève Laurent Tillon, chargé de mission faune et biodiversité à l’Office national des forêts (ONF).
Un wallaby vit 12 à 15 ans. Les descendants des premiers fugitifs peuplent donc aujourd’hui le massif de Rambouillet, concentrés pour la plupart autour d’Emancé, même si quelques intrépides ont été repérés jusqu’aux Ulis, à 40 km de là.
Combien sont-ils? Difficile à dire, en l’absence d’étude scientifique et au vu de la discrétion de l’animal, un solitaire essentiellement nocturne. Une centaine, voire 150, estime Bruno Munilla, du Centre d’études de Rambouillet et de sa forêt (Cerf), association naturaliste locale.
«C’était tabou !»
Tout exotiques qu’ils soient, les wallabies se plaisent dans les Yvelines où ils trouvent «gîte et couvert», constate Laure Raad, une étudiante en stage au Cerf qui documente depuis mars le rapport des marsupiaux à leur environnement. Le climat diffère peu de leur Tasmanie d’origine, explique-t-elle, et le sous-bois procure à ces cueilleurs de la nourriture «à profusion»: baies, bourgeons, jeunes pousses, graminées…
En outre, le marsupial peut se la couler douce: il n’a pas de prédateur. Trop gros pour les renards avec ses 80 cm pour 15 kg (plus de 20 kg pour un individu grassouillet).
Sa viande est comestible, mais les amateurs de steaks seront déçus: «Il n’est pas sur la liste des espèces chassables», prévient Stéphane Walczak, de la Fédération interdépartementale des chasseurs d’Ile-de-France. L’animal, qui ne pose à ce stade aucun problème sanitaire, n’est pas non plus classé nuisible, ni protégé ou domestique: «Il y a un vide juridique».
Le plus gros danger pour le wallaby vient finalement des collisions avec les voitures: quinze à vingt bêtes tuées chaque année, estime Bruno Munilla.
Sceptiques, les assureurs peinent souvent à croire l’automobiliste qui crie au kangourou. La municipalité d’Emancé, sourit la maire Christine David, produit donc «des attestations disant qu’on a bien des wallabies sur le territoire!»
Il fut un temps où les wallabies en goguette semaient le trouble dans les esprits: «Il y a 20-25 ans, c’était tabou tout ça! Il y avait une forme d’omerta», raconte M. Walczak. Et l’humain qui croisait un kangourou un soir d’apéritif se jurait surtout d’arrêter la boisson…
En 2003, des panneaux jaunes à l’australienne, installés par des plaisantins, ont permis de «délier les langues», explique le chasseur. A Emancé, où le journal de l’école se nomme le «Kangourou farceur», «c’est rentré dans les mœurs», abonde la maire: «C’est nos mascottes».
Marylène, l’épicière, n’a jamais recroisé de wallaby. Mais elle entend rester vigilante: «Si je vois un éléphant rose, je me poserai quand même des questions».
AFP