Accueil | Culture | Des jeux de société pour des enjeux de société

Des jeux de société pour des enjeux de société


Des jeux de société, parfois militants, tentent de se faire une place dans les familles pour libérer la parole tout en s’amusant. (Photo adobe stock)

Face aux classiques du genre comme le Monopoly et le Trivial Pursuit, des jeux de société cherchent à ouvrir le débat sur des sujets contemporains, notamment le droit des femmes. Le tout avec bonne humeur.

Sexisme, homophobie, préjugés, voire inégalité professionnelle… Des jeux de société, parfois militants, tentent de se faire une place dans les familles pour libérer la parole tout en s’amusant. Ainsi, sur le modèle du vénérable Mille bornes, le jeu Les Mille pas propose ainsi aux participants d’incarner une femme dans son parcours professionnel avec, sur son chemin, divers «feux rouges» bloquant sa progression : maternité, stéréotypes, équilibre entre vie professionnelle et familiale, inégalité salariale, sexisme, estime de soi… Le jeu, disponible en ligne, a été diffusé dans des entreprises, associations, établissements scolaires ou supérieurs, et 15 000 personnes y ont été sensibilisées, selon Coralie Franiatte, fondatrice de Bejoue, qui l’a lancé en 2021.

À l’école d’ingénieurs Centrale Nantes, une partie a récemment été organisée entre des étudiants et des anciens élèves, une initiative visant à «aborder des thèmes sensibles dont on ne va pas parler naturellement, avec un ton plus léger, sous le prisme de l’amusement», explique Nicolas, membre de Centr’Elles, une association féministe de cette école. «Chaque carte devenait l’occasion pour les joueurs de partager des témoignages sur un problème de discrimination vécu au lycée, dans sa carrière… Ce qui est inquiétant, c’est que, même si on n’a que 21 ans, on avait tellement à dire qu’on passait dix minutes sur chaque carte», témoigne-t-il.

«Ça fait du bien! Et c’est un brise-glace entre étudiants», poursuit le jeune homme, qui invite à ces événements les membres de l’association de rugby dont il fait aussi partie. Une autre partie les a également rassemblés autour de Bad Bitches Only, qui consiste, sur le modèle de Time’s Up, à reconnaître des figures féministes, d’abord en les décrivant, puis en les mimant. Vendu à 9 000 exemplaires, ce jeu entend «revoir notre culture qui a mis beaucoup de femmes sous le tapis», explique Eva Chancé, présidente de Gender Games, dont les trois associés font partie de la communauté LGBTQIA+. «Il s’agit de connaître 250 femmes, ce qu’elles ont fait pour les arts, la politique, en s’amusant. C’est intergénérationnel, car cela va des reines de France à la pop culture», explique la responsable.

Le but? Aborder des thèmes sensibles avec un ton plus léger, sous le prisme de l’amusement

Des variantes existent : Feminist Warriors centré sur des «icônes féministes» ou Queer Icons (personnalités LGBTQIA+). Dernier sorti, cette année, Geek Legends fait deviner des héroïnes de jeux vidéo, de Aveline de Grandpré (celle d’Assassin’s Creed) à Ciri (The Witcher), ou de mangas, comme The Major (Ghost in the Shell). Même dans la culture du jeu vidéo réputé machiste, «il y a des femmes qui sont de véritables dures à cuire, positives et inspirantes», souligne Eva Chancé, qui se présente comme non binaire. Consentement, mais aussi pratiques sexuelles : la série Discultons (10 000 exemplaires vendus selon Gender Games), créée par la sexothérapeute Léa Toussaint, veut aider «à se découvrir et discuter de sexualité tranquillement».

Animant un compte Instagram, elle recevait des messages privés qui lui disaient «ce que tu dis, c’est super, mais je ne sais pas comment en parler avec mon compagnon», raconte Eva Chancé. Une nouvelle version sortie cette année s’adresse aux «nouveaux parents», pour «lever les tabous et ouvrir le dialogue sur leur intimité» après l’accueil d’un enfant. Savoir répondre du tac au tac aux remarques désobligeantes : la société belge Si-Trouille a lancé le jeu de cartes Takattak Trash pour s’entraîner à répondre aux piques, voire aux injures à connotation sexiste, homophobe, grossophobe ou raciste.

«L’esprit de répartie, c’est purement de l’entraînement!», assure Geneviève Smal, sa fondatrice, formatrice en prise de parole en public. La série de jeux Takattak, s’adressant à des publics différents, s’est vendue à 60 000 exemplaires, indique-t-elle. Les joueurs tirent une carte avec un propos agressif et doivent y répondre par une autodérision, une pirouette, une insolence, une question, une vérité ou un compliment. «Lors d’une fête de famille, au lieu de laisser quelqu’un dire des horreurs sur les femmes, le procès Mazan, #MeToo, l’idée est de donner des armes pour oser répondre de façon appropriée, sans entrer dans une argumentation», assure Geneviève Smal. «La répartie, elle ne met pas de l’huile sur le feu, elle éteint le conflit.»