On n’arrête plus la cinéaste française Justine Triet. L’autrice d' »Anatomie d’une chute », qui côtoie Martin Scorsese et Christopher Nolan dans la course à l’Oscar, prestigieuse récompense hollywoodienne, pourrait devenir en France la deuxième femme à décrocher le César de la « meilleure réalisation ».
La réalisatrice de 45 ans, autrice de quatre films qui sont autant de portraits de femmes, avait déjà marqué l’histoire du Festival de Cannes en devenant la troisième cinéaste femme à décrocher, en mai, la Palme d’or.
Et ce, en imposant d’emblée sa patte, aussi chaleureuse et spontanée que sans concession sur ses engagements: plutôt que de triompher, elle met les pieds dans le plat et profite de la tribune cannoise pour défendre le modèle français de soutien au cinéma face au libéralisme.
Sans l’exception culturelle, « je ne serais pas là aujourd’hui », lâche-t-elle en recevant la Palme, dénonçant la volonté supposée du gouvernement de « casser » ce modèle. « Il y a un glissement lent vers l’idée qu’on doit penser à (la) rentabilité des films », qui pèserait sur les petites productions, a-t-elle explicité par la suite.
Le gouvernement de l’époque dénonce une sortie « ingrate et injuste » et le président de la République, Emmanuel Macron, s’abstient de lui adresser ses félicitations.
Nommée aux côtés de Martin Scorsese et Christopher Nolan
Neuf mois plus tard, le visage souriant de Justine Triet s’affiche au milieu des plus grands noms du cinéma hollywoodien, tels que Martin Scorsese ou Christopher Nolan, nommés comme elle pour l’Oscar de la « meilleure réalisation ».
Mercredi, Anatomie d’une chute a été nommé à 11 reprises aux César : Justine Triet peut espérer devenir, le 23 février, la deuxième réalisatrice de l’histoire à être sacrée dans cette compétition.
Emmanuel Macron a finalement dit sa « fierté » après les deux Golden Globes décrochés par « Anatomie d’une chute » en janvier.
La ministre de la Culture, Rachida Dati, confiait la semaine passée à l’AFP qu’elle avait adoré « Anatomie d’une chute » et qu’elle avait très envie de rencontrer la cinéaste, étendard d’un nouveau cinéma d’auteur français porté par des réalisatrices.
Un consommatrice assidue de séries
Passionnée par les luttes et les moments de tension sociale, Justine Triet est née le 17 juillet 1978 à Fécamp (nord-ouest). Elle grandit dans la capitale française.
« Ma mère a eu une vie assez complexe, travaillait et élevait trois enfants, dont deux n’étaient pas les siens. Mon père était très absent », raconte-t-elle à l’AFP. A 20 ans, elle entre à l’école des Beaux-Arts de Paris avec la volonté de devenir peintre. Elle se consacrera finalement à la vidéo et au montage.
Après un premier documentaire sur les manifestations étudiantes de 2007 contre le Contrat premier embauche (CPE), un contrat de travail spécifique aux jeunes abandonné par le gouvernement de droite de l’époque, après avoir suscité d’importantes manifestations, elle réalise un premier long-métrage, « La bataille de Solférino », en partie tourné le 6 mai 2012, jour du second tour de la présidentielle française remportée par le socialiste François Hollande.
Consommatrice assidue de séries, Justine Triet se voit consacrée avec « Victoria » (2016), porté par la comédienne française Virginie Efira en mère célibataire et avocate pénaliste en pleine crise de nerfs.
« Justine ne travaille pas comme les autres »
Elle signe à nouveau avec Efira pour « Sibyl », où l’actrice incarne une romancière reconvertie en psychanalyste. Elle y met aussi en scène Sandra Hüller, une actrice allemande qui a le même âge qu’elle et dont le rôle principal dans « Anatomie d’une chute » lui vaut une nomination aux Oscars.
« Justine ne travaille pas comme les autres, elle fait vraiment du cinéma un art du collectif. Ca se fait ensemble même si, à la fin, c’est elle qui tranche », décrit à l’AFP sa fidèle productrice, Marie-Ange Luciani. Dans la tribu Triet, on compte aussi son compagnon, l’acteur et réalisateur Arthur Harari, avec lequel elle a coécrit « Anatomie d’une chute ».
Si Justine Triet se dit « instinctive », son cinéma, qui ne laisse rien au hasard, est très réfléchi, « questionnant beaucoup les rapports entre les hommes et les femmes qui sont au centre de notre vie aujourd’hui ».
« Je n’ai pas attendu #MeToo pour que la personne qui vit avec moi travaille presque plus que moi avec les enfants à la maison », soulignait-elle avant le festival de Cannes 2023, recevant sans chichis, casquette sur la tête, autour de la table de la cuisine de son appartement parisien. « Je m’organise pour ne pas sacrifier mes ambitions ».