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Des capitales européennes de la culture divisées par l’histoire, unies par la culture


La frontière entre la Slovénie et l'Italie court, invisible, au milieu de la place de l'Europe, à Nova Gorica, là où se trouvaient à une époque des fils barbelés. (photo AFP)

Pour la première fois, la capitale européenne de la culture devient transfrontalière, réunissant les villes jumelles de Gorizia, en Italie, et Nova Gorica, en Slovénie (ex-Yougoslavie), marquées par un douloureux passé commun.

Anja Medved se souvient de «la douleur» de sa grand-mère, séparée du reste de sa famille par le traité de Paris qui divisa après la guerre sa ville natale de Gorizia entre l’Italie et la Yougoslavie. Depuis, les fils barbelés ont disparu : la Slovénie, devenue indépendante, a rejoint l’Union européenne en 2004 puis l’espace Schengen, et cette année, la capitale européenne de la culture, pour la première fois transfrontalière, réunit Gorizia et sa jumelle slovène, Nova Gorica.

Car, en 1948, les autorités yougoslaves, qui avaient surtout hérité dans la partie Est des terrains en périphérie du centre historique, décident de bâtir une nouvelle cité, pour symboliser la puissance du communisme. Entre les deux villes, la voie ferrée et parfois des places, champs et jardins divisés.

Devenue réalisatrice de documentaires, Anja Medved a passé sa vie à explorer cette frontière, «une mine d’informations, de blessures causées par les atrocités de l’histoire et de cicatrisations perpétuelles».

Aujourd’hui âgée de 56 ans, elle-même en garde un souvenir heureux, loin de l’expérience «traumatisante» de son aïeule. Après des débuts en forme de rideau de fer, des laissez-passer ont été distribués aux riverains à partir des années 1960 et la ligne est devenue plus perméable.

Munie de ce sésame, la jeune Anja aimait «enfourcher son vélo et se rendre dans un univers italien complètement différent». «L’odeur, les couleurs, les bus : paradoxalement, cela m’emplissait d’un sentiment de liberté», dit-elle, saluant ce projet culturel porteur selon elle de leçons pour l’Europe. «S’il y a quelque chose à retirer» des témoignages recueillis, «c’est que les guerres n’apportent pas de solution.»

«Montrer la voie en Europe»

«Go borderless» (aller sans frontières), dit le thème de cette année culturelle transnationale : depuis samedi, et à travers plus de 400 événements, la capitale européenne veut retracer ce «passé douloureux» mais aussi «déplacer les barrières mentales», souligne sa responsable, Mija Lorbek.

D’un côté, Gorizia, à l’histoire plus que millénaire, affiche avec ses ruelles pavées et ses bâtisses colorées un mélange de styles architecturaux d’Europe centrale. De l’autre, Nova Gorica, ville de 80 printemps au style moderniste socialiste arbore larges avenues, parcs et université.

Leurs destinées se sont inversées : Nova Gorica, où vivent 13 000 habitants, est devenue prisée, alors que Gorizia a vu partir les magasins et chuter sa population de moitié en 30 ans, tombant à 32 000 habitants. «J’aime les imaginer comme deux sœurs diamétralement opposées, mais qui, en convergeant, peuvent montrer la voie en Europe», s’enthousiasme le publiciste italien Andrea Bellavite, auteur d’un guide sur les deux cités.

Après une brève phase d’hostilité, une longue période d’indifférence a suivi, raconte-t-il, mais désormais les coopérations sont nombreuses avec peut-être bientôt une totale «disparition du mur» les séparant encore dans les esprits.

Un roi français en Slovénie

Sur cette terre de brassage historique, la capitale culturelle est l’occasion de mettre à l’honneur un trésor peu connu des touristes : la sépulture de Charles X, le dernier Bourbon à avoir régné en France. Après son abdication, il trouve refuge en Autriche-Hongrie, d’abord à Prague puis dans cette petite ville au climat clément, alors surnommée la «Nice des Habsbourg», et y meurt des suites d’une maladie en 1836.

Si l’Italie a hérité du château médiéval de Gorizia lors du découpage du territoire en 1947, la Slovénie peut se targuer d’abriter le monastère franciscain de Kostanjevica, situé sur la colline dominant Nova Gorica, où reposent le souverain et cinq membres de sa famille.

«Nous, Slovènes, n’avons pas notre propre roi, ce qui veut dire que Charles X est le seul roi enterré sur notre sol», dit dans un sourire la bibliothécaire du monastère, Mirjam Brecelj, en faisant fièrement visiter les lieux que le monarque pouvait voir de son lit de mort par la fenêtre.

«C’est toute l’ironie de la frontière : qui aurait cru qu’un roi français reposerait à Nova Gorica, la ville socialiste ?», s’amuse Anja Medved. «C’est bien la preuve qu’on ne peut pas tout mettre dans des cases.»