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Des Afghanes déchaînées dans les tribunes des stades de foot


Jeunes filles, jeunes femmes, grand-mères, elles brandissent des affiches et agitent des drapeaux afghans en scandant le nom de leur équipe favorite. (photo AFP)

Foulard rose discret, sagement calée au fond de son siège sur les gradins du stade de Kaboul, Shiba Rahimi lâche soudain un sifflet strident entre ses deux doigts pour encourager les footballeurs sur la pelouse. Comme des dizaines de filles et de femmes assises autour d’elle.

Toutes générations confondues, elles se manifestent bruyamment dans la section qui leur est réservée, profitant d’une rare occasion de s’amuser en public dans la société afghane, qui les préfère le plus souvent à la maison. Mais après tout, l’Iran voisin les interdit encore de stade. « Personne n’embête les filles ni les harcèle ici. C’est un chouette endroit pour les femmes », se réjouit Shiba Rahimi, une étudiante de 21 ans qui assiste en famille à un match de la première division afghane entre les équipes du Toofan Harirod de Herat et du Simorgh Alborz de Mazar-i-Sharif.

Jeunes filles, jeunes femmes, grand-mères, elles brandissent des affiches rouges barrées d’un énorme « Goaaaal ! » et agitent des drapeaux afghans en scandant le nom de leur équipe favorite. Certaines sont entièrement voilées, ne laissant paraître que leurs yeux quand elles se coulent entre les travées sous le regard de centaines d’hommes pour atteindre la section des femmes, voisine de la tribune des VIP.

Espace de liberté

C’eût été bien sûr impensable sous le régime conservateur et misogyne des talibans, qui confinait les femmes à la maison et leur interdisait toute sortie sans escorte masculine, dissimulées sous la burqa. C’est dans le vieux stade voisin, alors que le foot était à peine toléré, que les islamistes au pouvoir de 1996 à 2001 profitaient parfois de la mi-temps pour procéder aux exécutions publiques. Seize ans après le renversement des talibans par l’armée américaine, les femmes peuvent encourager leurs équipes et jouer parfois elles-mêmes au foot, dans les grandes villes.

Au départ seul un nombre restreint d’entre elles s’aventuraient au stade mais peu à peu, le souvenir des années noires s’effaçant et la télévision montrant des joueuses, elles sont apparues en plus grand nombre dans les tribunes et sur la pelouse – à la condition d’avoir la permission de leurs pères et maris. Ce qui représente un véritable espace de liberté comparé à d’autres régimes islamiques comme l’Iran voisin ou l’Arabie saoudite.

Dans les gradins de Kaboul, Morsal Sadat est l’une de ces chanceuses, autorisée à 16 ans à jouer et à assister aux rencontres de son sport favori. « Je suis venue regarder et apprendre quelques trucs de nos joueurs », explique-t-elle. Bien que largement dépassées en nombre par les spectateurs masculins parmi les 6 500 sièges du stade, les filles les écrasent par leurs hurlements enthousiastes.

Promotion du foot féminin

L’Afghanistan a fait beaucoup d’efforts pour promouvoir le foot féminin, qui dispose même d’une équipe nationale lancée il y a trois ans et de son propre championnat de première division. Mais cette année la compétition a dû être suspendue faute de fonds.

La sécurité est l’une des principales préoccupations pour les spectateurs qui se rendent dans les stades et sur les terrains à travers le pays, les grands rassemblements de foule étant aussi, souvent, les plus visés. Le mois dernier, une rencontre du championnat de cricket a été ciblée par un kamikaze qui s’est fait exploser à quelques mètres du stade après avoir été intercepté par les forces de l’ordre. Trois personnes ont été tuées. Mais dans un pays où les festivités, et même la vie courante, sont régulièrement interrompues par des attentats, les filles du foot refusent d’avoir peur. « L’insécurité est largement répandue en Afghanistan, on a chaque jour une ou deux explosions… mais on ne se laisse pas intimider, on ne peut pas laisser tomber un sport qu’on adore », souligne Khatira Ahmadi, 20 ans.

Le Quotidien/AFP