Les dernières écoles de samba à défiler au carnaval de Rio ont livré dans la nuit de lundi à mardi un spectacle féerique, dont l’irrévérence traditionnelle a été poussée jusqu’à une critique implacable du président Jair Bolsonaro.
Violences policières, discriminations raciales ou sexuelles, corruption, catastrophes environnementales, tout y est passé pour cette édition du carnaval qui se tenait alors que le président d’extrême droite est au pouvoir depuis plus d’un an. Les quelque 3 000 danseurs et les chars monumentaux de l’école de São Clemente ont ouvert le feu avec une parade qui a dénoncé le flot de fausses informations ayant émaillé l’élection de Jair Bolsonaro fin 2018 et les affaires de corruption dans son ancien parti ainsi que les soupçons pesant sur l’un de ses fils.
Juché sur un char, l’humoriste Marcelo Adnet, déguisé en Jair Bolsonaro, imitait le geste de la main caractéristique du chef de l’État mimant une arme, devant des pancartes où figuraient les tics de langage présidentiels. « Le carnaval, c’est l’occasion pour s’exprimer contre tout ce qui ne marche pas dans le pays », a dit Jaqueline Feitosa Simoes, percussionniste de São Clemente.
Six écoles de samba ont défilé devant 70 000 spectateurs
Après sept écoles la veille, les six dernières écoles de samba devaient se succéder jusqu’à l’aube mardi sur l’immense avenue du sambodrome conçu par Oscar Niemeyer, devant plus de 70 000 spectateurs et des dizaines de millions de téléspectateurs. Chacune des écoles disposait d’une heure pour enchanter le public, mais aussi les juges, au son puissant de la samba et des percussions, avec des chars allégoriques fastueux aussi hauts que des immeubles de plusieurs étages, des milliers de danseurs aux costumes chatoyants et des danseuses sculpturales très dénudées.
Privées de subventions par le maire évangélique de Rio, Marcelo Crivella, qui ne goûte guère l’exubérance sensuelle de la plus grande fête du monde, les écoles de samba, pratiquement toutes créées dans des favelas, ont dû faire assaut de créativité cette année, recyclant parfois des chars du carnaval 2019. Les 13 écoles en lice lors de ces deux nuits de défilé se disputaient le titre très convoité de championne qui sera annoncé mercredi.
Des défilés « pour un Brésil meilleur »
La championne en titre, Mangueira, a encore marqué les esprits dans la nuit de dimanche à lundi avec un défilé mettant en scène un Jésus noir venant apporter la paix dans une favela où il danse avec ses disciples jusqu’à l’intervention brutale de policiers armés de matraques. Plusieurs écoles ont ainsi dénoncé les opérations policières qui ont fait plus de 1 800 tués l’an dernier, soit environ cinq personnes par jour, sous un gouvernement ayant promis de réduire la violence endémique au Brésil. Avec son Jésus à la peau noire, Mangueira avait déjà créé la polémique avant même le défilé, une pétition en ligne d’ultraconservateurs ayant demandé l’interdiction de son défilé pour « blasphème ».
Une autre école, Grande Rio, avait pris pour thème celui de la tolérance religieuse, avec des chars exaltant les croyances afro-brésiliennes. Lutte pour la diversité et les droits des opprimés –Noirs, femmes ou communauté LGBT – les dernières écoles de samba ont enfoncé le clou dans la nuit de lundi à mardi, dans un pays qui a porté à sa tête un président ouvertement misogyne et homophobe et accusé de racisme. Une fois dans l’année, « le carnaval, c’est l’allégresse pour tous, les gens souffrent tant et travaillent tant », dit Marcelo Tchetchelo de Castro, danseur de São Clemente. « En même temps, c’est le moment pour nous de passer les messages pour une prise de conscience de tous, pour un Brésil meilleur ».
Hommages aux indigènes et à Elza Soares
Le carnaval a puisé dans les racines indigènes du Brésil. L’école la plus titrée, Portela, avec 22 trophées, a rendu un hommage aux indigènes Tupinamba la nuit précédente. « Notre village ne s’incline pas devant le capitaine », disait la chanson de l’école, une référence transparente à l’ancien capitaine de l’armée Jair Bolsonaro, accusé d’être peu sensible aux droits des populations indigènes.
Avant-dernière à défiler dans la nuit, l’école de Mocidade avait choisi de rendre hommage à la chanteuse mythique Elza Soares, 89 ans, icône de la lutte contre le racisme et l’homophobie. Avant elle, celle de Salgueiro a évoqué, avec ses arlequins et ses acrobates évoluant sur des chars géants, le monde du cirque, pour rendre hommage à Benjamin de Oliveria, premier clown noir du Brésil qui a lutté contre le racisme.
L’école Unidos da Tijuca a alerté sur le thème de l’environnement, avec un char gigantesque figurant la fonte des glaces. « Rio appelle à l’aide, comme la terre que l’homme maltraite », disait sa chanson.
D’autres écoles ont évoqué la déforestation en Amazonie, qui a doublé en 2019, première année du gouvernement Bolsonaro.
AFP/LQ