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Dernière chance de voir Pyongyang pour les touristes américains


Des touristes posent devant les statues géantes de Kim Il-Sung et Kim Jong-Il, à Pyongyang, le 23 juillet 2017. (Photo : AFP)

Disposés sur un rang, les touristes attendent le signal du guide pour s’incliner devant les statues géantes de Kim Il-Sung et Kim Jong-Il. Un rituel très nord-coréen auquel les Américains n’auront bientôt plus l’occasion de se prêter.

L’administration Trump entend interdire cette semaine à ses ressortissants de voyager en République populaire et démocratique de Corée (RPDC), comme se fait appeler la Corée du Nord. Cette décision fait suite au premier tir réussi par Pyongyang d’un missile intercontinental et, surtout, au décès d’Otto Warmbier qui avait été détenu plus d’un an en Corée du Nord. L’étudiant américain avait été condamné en 2016 par la justice nord-coréenne à 15 ans de travaux forcés pour le vol d’une affiche de propagande. Il avait été rapatrié en juin dans le coma aux États-Unis, où il est mort quelques jours plus tard. La plupart des touristes allant en Corée du Nord le font par curiosité, avec l’idée de vivre une expérience différente.

Les statues de bronze de 20 mètres de haut sur la colline Mansu, dominent le centre de Pyongyang. Des groupes de Nord-Coréens viennent régulièrement rendre hommage aux deux premiers dirigeants du régime, et les véhicules passant devant sont priés de ralentir. «Notre général nous manque», clament des haut-parleurs au sujet de Kim Jong-Il, le père de l’actuel dirigeant Kim Jong-Un. «Le président Kim Il-Sung a libéré notre pays et fait de cette terre le paradis du peuple», entend-on.

«Les gens semblent heureux»

Responsable d’un centre d’appel en Irlande, Kyle Myers, 28 ans, recherchait, pour son premier voyage en Asie, «quelque chose de différent» de ce qu’il connaissait. Il voulait «voir quelque chose que peu de gens à la maison ont vu.» Bien sûr la montée des tensions sur la péninsule l’a inquiété. Mais, «je ne vois ici aucune menace pour les touristes tant qu’ils se comportent bien et suivent les règles du pays.» Certains des touristes ne cachent pas leur enthousiasme. L’informaticienne australienne Pallavi Phadke, 43 ans, a même déposé une gerbe devant les statues.

C’était «une marque de respect», a-t-elle dit. «C’est la même chose que de couvrir sa tête quand on entre dans une mosquée ou de retirer ses chaussures dans un temple.» «Les gens semblent heureux, ils ne paraissent certainement pas opprimés», dit-elle. «Ils sont très fiers de leur pays et de leur histoire et c’est chouette de voir leur patriotisme.» Une impression qui n’est pas partagée par l’ONU, de nombreuses ONG et capitales étrangères qui accusent Pyongyang de violations graves des droits de l’Homme.

Certains touristes ne cachent toutefois pas leur malaise. Les statues des deux Kim évoquent ainsi à Mark Hill, écrivain de Calgary au Canada, «un Mont Rushmore en sinistre»: «C’est à la fois impressionnant et inquiétant.» Pendant des années, les États-Unis s’en sont tenus à déconseiller les voyages en Corée du Nord, en raison notamment des risques d’arrestation et de la possibilité que l’argent du tourisme finance les programmes militaires interdits de Pyongyang. Ils sont passés à la vitesse supérieure avec l’interdiction qui entrera en vigueur 30 jours après avoir été décrétée.

«Conséquences graves»

Les Américains représentent 20% des 4 000 à 5 000 touristes occidentaux qui se rendent chaque année en Corée du Nord, selon Simon Cockerell de Koryo Tours, l’agence qui s’occupe du groupe de touristes rencontré dimanche. Le décès d’Otto Warmbier a déjà refroidi le marché, dit-il, puisque les réservations ont plongé de 50%. «La perception est que tout le monde fait des erreurs», dit-il. «Et ceux qui font des erreurs ne veulent pas que les conséquences soient si graves.»

L’interdiction, estime-t-il, est totalement contre-productive. Non seulement, cela prive de revenus des Nord-Coréens qui vivent du tourisme et, de plus, cela «élimine complètement toutes les relations qu’il pouvait y avoir entre les touristes américains et nord-coréens.» La propagande officielle sur les États-Unis est «à 100% négative», observe M. Cockerell. Mais les contacts entre les Nord-Coréens et les touristes contribuent à démentir «l’idée selon laquelle les étrangers appartiennent tous aux mêmes forces du mal cherchant à saper la Corée du Nord».

«L’idée que le tourisme contribuerait à soutenir le gouvernement est absurde», ajoute-t-il. «Les chiffres sont très bas. Les bénéfices très faibles.» Young Pioneer Tours, l’agence qui avait organisé le voyage d’Otto Warmbier, a déjà annoncé qu’elle n’emmènerait plus d’Américains en Corée du Nord. Dans le groupe rencontré dimanche, figurait l’écrivain de Los Angeles Evan Symon qui pourrait bien être un des derniers touristes américains à se rendre en Corée du Nord avant très longtemps. «D’un côté, c’est plutôt cool», sourit-il.

Le Quotidien/AFP