Les super ouragans Irma et Harvey ont été amplifiés par le dérèglement climatique : les scientifiques en sont convaincus, mais ne peuvent le dire aussi clairement, faute de « flagrant délit ».
Les éléments de preuve sont là : élévation du niveau des mers, boom des températures océaniques, bouleversements atmosphériques, modèles informatiques pour confirmer le tout… Mais une donnée manque encore, clé ultime en sciences du climat: des relevés d’observation de ces cyclones sur une période suffisamment longue. « C’est incroyablement frustrant », considère Dann Mitchell, spécialiste de la circulation atmosphérique à l’Université de Bristol. « Nous ne pouvons toujours pas dire avec 100% de certitude qu’Irma a été renforcée par le changement climatique, alors que dans le cas d’autres événements – par exemple les canicules – nous pouvons le dire. »
De l’énergie pour les tempêtes
Beaucoup de scientifiques jugent pourtant le dossier suffisamment solide. « La physique est très claire : les ouragans tirent leur énergie destructrice de la chaleur de l’océan », souligne Anders Levermann, professeur à l’Université de Potsdam. « Les émissions de gaz à effet de serre liées à la combustion du charbon, du pétrole et de gaz augmentent les températures sur notre planète, et apportent de l’énergie à des tempêtes tropicales toujours plus fortes. »
Et les experts disposent d’un long suivi du niveau mondial des océans, qui a déjà gagné en moyenne 20 cm depuis les années 1880 et le début de la Révolution industrielle. « Nous savons que le niveau de la mer est en train de monter et que cela va se poursuivre avec le réchauffement du climat, » prévient Chris Holloway, spécialiste des ouragans à l’Université de Reading. Cette hausse du niveau de la mer renforce la capacité destructrice des ouragans en renforçant les vagues pénétrant sur la terre. Pour autant, ces arguments de « bon sens » ne sont pas des mesures directes des ouragans.
De ce fait, voici ce qu’on peut dire d’Irma à ce stade, selon Dann Mitchell : « L’intensité accrue des tempêtes est une marque attendue du changement climatique, mais il est trop tôt pour dire si cet ouragan en particulier a été renforcé par ce phénomène ». Les scientifiques manquent d’observations parce que les ouragans géants – de catégorie 4 ou 5 sur l’échelle de Saffir-Simpson – sont assez rares, par rapport aux cas recensés de canicules ou de sécheresses. Or un échantillon trop petit rend difficile le repérage de tendances structurées, d’autant que les données sur les ouragans et cyclones ne remontent qu’à quelques dizaines d’années.
Tous les cyclones tropicaux se rapprochent des pôles
Les ouragans sont en outre « des phénomènes particulièrement bruyants », ajoute Dann Mitchell : il faut pouvoir faire la différence entre le « bruit » des fluctuations météorologiques naturelles et les traces d’un climat déréglé. « C’est un peu comme essayer d’écouter quelqu’un assis à côté de vous, avec en fond sonore une musique à plein volume », décrit Sally Brown, chercheuse à l’Université de Southampton : « Vous devrez demander à la personne de répéter plusieurs fois pour être sûr de l’avoir comprise. » Mais malgré ces limites, de grandes tendances apparaissent déjà clairement, soulignent des scientifiques.
« Au niveau mondial, nous avons observé que ces 30 dernières années, les tempêtes les plus fortes se sont renforcées du fait du réchauffement des océans, » constate James Elsner, professeur de science atmosphérique à la Florida State University. « Les preuves sont déjà robustes. »
Mais la preuve la plus nette que le dérèglement du climat est déjà à l’œuvre pour les ouragans vient sans doute de Jim Kossin, chercheur à l’Agence américaine océanique et atmosphérique (NOAA). En 2014, Kossin montra dans une étude, de manière irréfutable, que depuis au moins 30 ans tous les cyclones tropicaux dans le monde se rapprochent des pôles, à un rythme de 50 à 60 km par décennie. Ce qui ne peut être généré que par le dérèglement climatique, expliquait-il. « Les données historiques sont rares, la plupart limitées à l’Atlantique, et pas très bonnes, » résume Kerry Emanuel, du MIT de Boston. « Le génie de Kossin a été de voir que la latitude des tempêtes à leur pic pouvait être, elle, facilement repérée. »
Le Quotidien/AFP