Le compositeur et chef d’orchestre polonais Krzysztof Penderecki, grande figure de l’avant-garde sonore des années 1960 et en même temps fidèle à la tradition religieuse et aux grands maîtres du passé, est décédé dimanche à l’âge de 86 ans, dans sa ville de Cracovie.
Le quadruple lauréat des Grammy Awards (en 1988, en 1999 – dans deux catégories, et en 2017), commence sa brillante carrière en 1959, au moment où ses trois compositions, « Strophes », « Emanations » et « Les psaumes de David », remportent les trois premiers prix d’un Concours pour jeunes compositeurs à Varsovie. Grâce à un dégel temporaire du régime communiste en Pologne à l’époque, les œuvres de Penderecki arrivent à percer le rideau de fer et connaissent un succès international immédiat.
Penderecki a alors recours à des intervalles inhabituelles, grappes sonores, glissandi, timbres inouïs des instruments utilisés de manière peu ordinaire. Sa musique est riche d’effets sonores. Il fait jouer feuilles de métal, sifflets, morceaux de verre et de métal frottés avec une lime, cliquettes, sonneries électriques, scies, machines à écrire ou sirènes d’alarme. Le compositeur invente aussi des symboles de notation musicale correspondant à ces moyens d’expression alors inconnus.
Coopération avec Jonny Greenwood
Par la suite, Penderecki abandonne peu à peu son langage d’avant-garde. Critiquée par le milieu musical, cette évolution est applaudie par le public. Il renoue alors avec une écriture néo-tonale, postromantique, avec un contenu et une construction accessibles à un plus large public. « Ma musique reste la même. Seuls les moyens (d’expression) ont changé », se défend-il alors.
En 2011, le vieux maître a noué une coopération avec Jonny Greenwood, leader du groupe rock anglais Radiohead, et le compositeur de musique électronique Aphex Twin, tous deux admirateurs de son œuvre. Leur rencontre s’est soldée par des concerts et un projet de disque en commun. « Je suis content que des univers musicaux différents aient pu se rencontrer. Et j’ai vu ce jeune public enthousiaste », se réjouit-il.
Contrairement à la plupart des compositeurs de sa génération, une part essentielle de l’inspiration de Penderecki fut d’origine religieuse (Stabat Mater, Passion selon Saint-Luc). « J’ai toujours agi par esprit de contradiction », explique le compositeur. « Quand j’étais étudiant, la musique sacrée était interdite, puis, pendant des années, elle continuait à être très mal appréciée par les autorités (communistes). Elle était aussi mal accueillie par mes collègues qui, à part Messiaen, n’y ont pas touché », ajoute-t-il.
Né le 23 novembre 1933 à Debica (sud), Krzysztof Penderecki est admis au Conservatoire de Cracovie à l’âge de 18 ans. Il fait en même temps des études de philosophie, d’histoire de l’art et de littérature. Ensuite, il marie sa carrière d’avant-gardiste avec celle d’enseignant de composition dans différentes grandes écoles de musique à travers le monde. En tant que chef d’orchestre, il donne des concerts avec les plus illustres orchestres symphoniques d’Europe et des Etats Unis. Il est membre des Académies de musique de très nombreux pays.
Relier l’avant-garde avec la musique symphonique
« Dans mon microcosme musical, j’ai relié les acquis de l’avant-garde avec la grande tradition de la musique symphonique des XVIIIe, XIXe et XXe siècles. On ne peut pas être artiste sans avoir connu la tradition, sans avoir digéré les œuvres du passé, étudié en profondeur les vieux maîtres », dit-il. Pour réaliser cet objectif, il a fondé une Académie européenne de musique portant son nom, autour de son manoir à Luslawice, près de Tarnow, dans le sud-est de la Pologne.
« Le sort d’un artiste est un labyrinthe. Il croit connaître le chemin mais doit le chercher sans arrêt. Souvent il va de l’avant mais, soudainement, il doit rebrousser chemin, revenir en arrière, rouvrir une porte qui avait déjà été refermée. C’est un dialogue constant avec le passé », ajoute Penderecki. Amoureux de la botanique, une autre grande passion de sa vie, il plante des labyrinthes dans le jardin de Luslawice, devenu déjà légendaire pour sa composition et sa richesse végétale. Interrogé sur la place de la botanique dans sa vie, le grand compositeur répondait: « Elle vient en deuxième position, juste après ma petite-fille ».
LQ / AFP