Dans Dessiner encore, Coco raconte sa vie depuis le 7 janvier 2015 et l’attentat de Charlie Hebdo. Les cauchemars qui la hantent, la culpabilité du survivant, la fin de l’insouciance, ses séances de psy et quelques moments de bonheur qui percent malgré tout…
Coco – Corinne Rey de son vrai nom – a eu le malheur de croiser les frères Kouachi, le 7 janvier 2015, en partant chercher sa fille à la halte-garderie. Sous la menace des kalachnikovs, elle a alors composé le code d’entrée du journal où elle travaille depuis 2008. «Cette place de la fille qui a ouvert la porte a été dure à encaisser. Encore maintenant, c’est difficile d’accepter ce qui s’est passé», dit la dessinatrice.
Culpabilité, angoisse, mais aussi souvenirs heureux… Son bouleversant récit graphique, récemment paru aux éditions Les Arènes, mêle cauchemars, séances chez le psy et tranches de vie chez Charlie, «cette rédaction géniale entre déconne, sérieux, boulot, engueulades, bouffe, vie». La dessinatrice y dépeint «la vague» prête à l’engloutir à tout moment. Et «les obsessions» qui la hantent : «Et si j’avais appelé au secours ? Et si j’avais essayé de m’enfuir ? Et si je les avais poussés dans les escaliers ?», s’interroge-t-elle frénétiquement dans une séquence d’une dizaine de pages conclue «par un fragment rouge, l’équivalent d’une mort certaine» . «Il m’a fallu du temps pour regarder ce moment-là et me dire que je n’avais pas le choix», relate-t-elle.
C’est à l’approche du procès des attaques de Charlie, de Montrouge et de l’Hyper Cacher fin 2020 que la dessinatrice s’est plongée dans son album. «Cela m’a aidée à me préparer» pour la cour d’assises, «à trouver des mots, à rentrer à l’intérieur de moi». «Le procès dans un certain sens a été cathartique», après des années à taire ces «choses enfouies» en pensant «aux familles, enfants des victimes beaucoup plus déchirées» qu’elle, qui est «en vie» et «pas blessée». Mais «la vague sera toujours là. (…) On cohabite avec ce 7 janvier, le tout c’est de réussir à vivre avec le mieux possible», souligne la jeune femme, toujours sous protection rapprochée.
Son salut, elle le doit au dessin, passion née «vers 4-5 ans». Son bac en poche, après une première année décevante aux Beaux-Arts de Lyon, la jeune fille d’Annemasse «s’éclate» à l’École européenne supérieure de l’image de Poitiers et s’oriente vers le dessin de presse en 2007 au détour d’un stage… chez Charlie. Celle qui aimait «faire marrer les profs et les copains» avec ses caricatures se trouve séduite par «la portée des dessins engagés» de Wolinski, Tignous, Honoré et Cabu – le seul qu’elle connaissait, génération Club Dorothée oblige.
Percevant son «petit potentiel», selon ses mots, Cabu et Philippe Val, alors directeur de la publication, l’invitent à revenir. Elle publie son premier dessin dans l’hebdomadaire satirique en 2008. Cabu, «toujours disposé à vous aider», lui transmet «ses propres codes de dessins». Charb, «bienveillant», l’encourage à aller «faire ses armes dans d’autres journaux» comme L’Humanité et à 28 minutes (NDLR : une émission d’ARTE). Et suivant les conseils de Luz, elle illustre «pendant six ans le billet d’humour satirique de Christophe Conte» aux Inrocks. Son prochain défi ? Succéder à Willem, «géant du dessin» qui prendra sa retraite de Libération à 80 ans, tout en continuant, comme elle, à travailler pour Charlie.
«Cavanna disait « un dessin, c’est un coup de poing dans la gueule ». Mais Willem, c’est vraiment un grand coup de pied, un uppercut, et je te casse trois dents en plus», dit-elle au sujet de ce «grand esprit de synthèse», «percutant», à «la liberté incroyable». «On m’a dit : « tu vas remplacer Dieu“, lance-t-elle en riant. Comment prendre la suite de Dieu? Je n’en sais rien, je vais y aller comme je suis.» Engagée, parfois «violente», parfois moins. Elle ne sera pas dépaysée : Libération a accueilli la rédaction de Charlie à deux reprises, après l’attentat et après l’incendie de ses locaux en 2011.
Grégory Cimatti
En avril, elle deviendra la première dessinatrice attitrée d'un grand quotidien
C’est une première en France pour une femme : la dessinatrice Coco, 38 ans, va devenir la caricaturiste attitrée du journal Libération début avril, remplaçant le Néerlandais Willem qui prendra sa retraite du quotidien, à la veille de son 80e anniversaire. Mais elle continuera parallèlement de travailler pour Charlie Hebdo qu’elle a rejoint en 2008. «Prendre la suite de Willem et en plus à Libération, c’est un honneur qui ne se refuse pas !», commente Coco. «Je ne dis pas « remplacer » car on ne remplace pas un génie du dessin. Disons que je vais faire de mon mieux !» Dans son œuvre corrosive, couronnée du Grand Prix d’Angoulême en 2013, Willem fustige notamment les dérives identitaires et l’injustice sociale.
«Pour beaucoup d’entre nous, il est un maître à penser, un éditorialiste qui a par hasard également un génie pour la caricature», a salué le directeur de la rédaction de Libération, Dov Alfon, annonçant «un numéro spécial le jour de son départ le 31 mars». «C’est avec une grande joie et un frisson de fierté que j’accueille Coco dans ce rôle», a-t-il ajouté, se disant «persuadé qu’elle saura(it) le réinventer et le redessiner. Son premier numéro à Libération est celui du 1er avril, même si avec l’avenir politique et social qui se dessine, ce ne sera pas tous les jours de la farce !» C’est aussi ce printemps que Plantu, dessinateur historique du Monde, posera son crayon après quelque 50 ans de collaboration avec le quotidien. Il laissera sa place aux plumes internationales de Cartooning for Peace, l’association qu’il a créée avec l’ancien secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan, il y a 15 ans.