De Buttek arrive en salle jeudi. Le film de Luc Feit, issu d’un travail d’improvisation des comédiens, est une proposition surprenante. Du jamais vu au niveau du 7e art «made in Luxembourg».
C’est peut-être un film qu’il faut regarder deux ou trois fois pour vraiment le comprendre», lance le réalisateur Luc Feit au sujet de son film De Buttek. «Comme le Luxembourg est un petit pays, ça peut être une bonne idée pour faire plus d’entrées», rigole-t-il aussitôt.
Car, disons-le clairement, à la fin des 94 minutes de De Buttek – mot qui en français peut se traduire aussi bien par «le magasin» que «la dispute» –, on n’est pas très sûr de ce qu’on vient de voir, de l’histoire qu’on nous a racontée et de ce qu’on aurait dû comprendre. C’est le risque quand on fait «un film très low budget (NDLR : 1 million d’euros), sans scénario, qui met en valeur les acteurs», comme le résume le producteur de Samsa Film, Bernard Michaux.
Pour résumer, non le film, mais le projet, on pourrait dire que Luc Feit, avec une simple trame narrative (lire interview ci-dessous), a réuni pendant deux semaines dans un hôtel isolé du nord du pays des amis comédiens de différentes générations – André Jung, Martin Engler, Philippe Thelen, Catherine Janke, Sophie Mousel, Germain Wagner, Anouk Wagener, Fabienne Hollwege, Valérie Bodson, Klaus Nierhoff et Jules Werner –, leur a donné le point de départ de l’histoire, convenu avec chacun de leur personnage, puis tourné les différentes scènes improvisées par les comédiens.
«C’est intéressant d’avoir juste une situation, un point de départ et créer cette confrontation avec d’autres acteurs pour voir où ça mène, ce qui en sort» explique Philippe Thelen, qui interprète le fils caché du chef d’entreprise, invité surprise du week-end. «Ce n’est pas toujours le cas, mais quand il y a une harmonie, une connexion, une atmosphère qui se crée, ça peut donner de très belles choses», ajoute-t-il.
Une «proposition artistique différente»
On ne peut que lui donner raison. Comme au théâtre, l’improvisation peut réserver de belles surprises, de belles trouvailles. Dans ce cas précis, qui plus est, – même si ça parle aussi français, allemand et anglais dans le film – il propose une approche nouvelle de la langue de Dicks : «Je pense qu’on n’a jamais entendu dans un film des personnages qui parlent le luxembourgeois comme ils le parlent ici», reprend le producteur.
Mais l’improvisation a également ses limites. Si lors de certaines scènes, l’humour est plein de fraîcheur – on remarque même parfois les comédiens qui ont du mal à se retenir de rire des trouvailles de leurs partenaires –, d’autres tentatives tombent à plat. On a alors, par moments, l’impression que le récit stagne et que, ici ou là, on a poussé le bouchon un peu trop loin.
On l’aura compris, De Buttek n’est pas un film très grand public, mais, note Bernard Michaux, «un film qui peut intéresser les gens qui vont souvent au théâtre, qui aiment le jeu d’acteur». C’est surtout «une expérience qui n’a jamais été tentée avant au Luxembourg» ainsi qu’une «proposition artistique différente d’un acteur-réalisateur», conclut le producteur.
Pablo Chimienti
«Un film en luxembourgeois où chacun parle la langue à sa manière»
De Buttek est le premier long métrage du comédien Luc Feit après plusieurs courts : Ferkel (1998), Dessous (2000), W (2003), Ibijazi (2011)… Rencontre avec le réalisateur vu dernièrement dans les films Murer : Anatomie eines Prozesses, Superjhemp retörns ou encore la série Capitani.
Comment est née cette idée d’un film improvisé ?
Luc Feit : C’est Bernard (NDLR : Michaux, producteur Samsa) qui a eu l’idée de faire ce film et qui m’a demandé si ça m’intéressait de le réaliser. Comme j’aime faire des choses que je n’ai pas encore faites et qu’il m’a proposé de choisir les acteurs avec qui j’avais envie de travailler, j’ai dit oui. Après, je me suis mis avec Guy Helminger à Cologne pour construire une storyline. Et avec cette première idée en tête, on a finalisé le casting.
Mais quel est l’intérêt de faire un film d’improvisation ?
En fait, le point de départ est que, en tant que Luxembourgeois, on a souvent un problème de langue. Comme la plupart d’entre nous n’ont jamais étudié le luxembourgeois, chacun le parle un peu à sa manière selon la région où on a grandi, ses copains, etc. Mais quand on travaille sur un film en luxembourgeois et qu’on écrit le luxembourgeois, on ne retrouve plus toutes ces différences. On a donc voulu faire un film en luxembourgeois où chacun parle la langue à sa manière. Après, on a cherché un hôtel et quand on a décidé de prendre celui de Dirbach Plage, l’histoire s’est encore précisée. J’ai alors parlé avec les comédiens pour leur expliquer leur rôle, leur personnage et rien d’autre.
Donc, l’idée est que chaque comédien devait, à chaque fois, surprendre l’autre, c’est ça ?
Voilà. Chaque comédien savait qui allait jouer avec lui, mais c’est tout. Ils ne savaient pas qu’on allait s’installer dans cet hôtel, qu’André, le chef, allait leur annoncer une mauvaise nouvelle, etc. Rien !
Parlons du coup des personnages…
Il était important pour moi de prendre des personnages qui ne soient pas typiquement luxembourgeois, avec de l’argent, de la réussite. Je voulais avoir des personnages qui n’ont pas eu beaucoup de réussite dans la vie, un peu tristes. Par exemple, Anouk pleure parce qu’elle vient d’apprendre que son oncle est mourant, mais, d’un autre côté, elle veut se placer pour hériter de l’entreprise. Je ne voulais pas de quelque chose de clair, manichéen, mais plus quelque chose d’un peu vague, d’absurde, de comique.
L’absurde qui est personnifié, d’ailleurs, par le gérant de l’hôtel.
Oui, pour moi, il était très important d’avoir ce côté-là dès le début du film, pour que le spectateur comprenne tout de suite qu’il n’est ici pas question de réalisme, mais de quelque chose de fantaisiste, de poétique.
À la fin du film, on vous voit et vous dites : « pour moi tout est clair. » Une manière de reconnaître que ce n’est pas très clair ?
Disons que c’est une manière d’assumer. Je vois ça comme la vie, rien n’est clair et tout est clair à la fois.
Recueilli par Pablo Chiementi