Personnage incontournable de la scène hip-hop au Luxembourg, David Galassi l’appuie depuis plus de dix ans, derrière le micro et depuis les coulisses. Alors qu’un premier projet promotionnel gouvernemental a vu le jour cette semaine, la moitié de De Läb donne sa vision d’ensemble. Entretien.
Le gouvernement luxembourgeois se met au hip-hop! Par le biais d’une web-série (en réalité, quatre minces documentaires) et d’un concert gratuit, le tout sous l’impulsion de Kultur | lx, le milieu est ainsi à l’honneur cette semaine, à l’écran et sous les projecteurs. Un projet qui satisfait David Galassi, moitié de De Läb (avec Corbi), qui œuvre depuis plus de dix ans pour la reconnaissance du style et de ses acteurs, longtemps stigmatisés. Avec, entre ses mains, toute une palette d’outils nécessaires qu’il a mise en place, allant de la production à la promotion (les labels De Läbbel et BEAST, la plateforme de booking Konektis, le collectif associatif Hip Hop based Education Luxembourg…). De quoi en connaître et en dire long sur le sujet. Entretien.
Ce vendredi soir, «Lx finest : hip-hop» met en lumière la scène rap du Luxembourg. Comment voyez-vous cette initiative ?
David Galassi : Disons qu’il était temps qu’une institution gouvernementale prenne en considération cette scène, qui est à la fois riche et omniprésente dans la culture, notamment chez les plus jeunes. Surtout que ça n’a rien de nouveau : le phénomène dure depuis des années, et se développe.
Le fait que le ministère de la Culture soutienne cette scène, est-ce quelque chose d’inespéré ?
Un peu, oui. Surtout quand on regarde d’autres genres musicaux, nettement plus visibles et plus soutenus au pays. Il ne faut pas se leurrer : le milieu du hip-hop a longtemps été marginalisé, pour des raisons souvent fausses, des clichés persistants, des stéréotypes négatifs. Mais désormais, il prend tellement de place, avec des styles et sous-genres différents, qu’on ne peut plus faire semblant de ne pas le voir. Son influence est devenue incontournable, majeure. Le hip-hop, c’est la pop d’aujourd’hui!
Définitivement, on prêche moins dans le désert !
Quand vous parlez de mauvaise réputation, comment cela se manifestait-il sur le terrain ?
Il y a quinze ans, le rap était simplement absent des salles de concert, ou alors seulement à de très rares occasions. Et là, je ne parle même pas de la scène locale, qui elle n’avait pas d’espace pour s’exprimer. Tout était fragmenté et les rappeurs – peu nombreux – faisaient leur truc dans leur coin. Avec De Läb, des portes se sont ouvertes mais ce n’était pas la folie non plus (il rit). Puis il y a eu un déclic dans les têtes et, au fil du temps, le public a accepté cette culture qui, de surcroît, est défendue aujourd’hui par une scène énorme. Pour convaincre, ça aide!
Vous avez participé, il y a un an, aux assises sectorielles «rock/pop/electro». En êtes-vous sorti rassuré, sachant que le rap ne figurait même pas dans l’intitulé ?
(Il coupe) Ça, je leur ai dit ! Je me souviens avoir demandé : « Où est le hip-hop, la culture urbaine ? Ça manque ! ». Bon, après, les échanges étaient bienveillants. Les institutions étatiques semblent être à l’écoute et, depuis, les relations se sont dénouées et les discussions se poursuivent. Oui, on sent une volonté commune qui, selon moi, va dans la bonne direction. C’est agréable, en tout cas, de se sentir considéré, de voir quelqu’un comme la ministre de la Culture, Sam Tanson, tendre l’oreille. Est-ce que des choses concrètes vont naître de tout ça? À voir, surtout que tout change très vite, que la scène évolue constamment. Il faut la comprendre pour pouvoir la suivre et la soutenir.
Dès lors, vous sentez-vous moins seul, vous qui, depuis plus dix ans, développez des outils (management, production, booking…) pour cette scène ?
Définitivement, on prêche moins dans le désert! Et pour appuyer les discours et les actes, on trouve de plus en plus d’artistes qui osent, cherchent à se professionnaliser. Il y a quinze ans, on les entendait souvent dire : « Le Luxembourg n’est pas prêt pour ça! ». Ils prenaient alors le chemin de la sécurité et devenaient instituteurs ou fonctionnaires! Cette volonté, ce courage que l’on remarque actuellement, ça fait chaud au cœur. Il faut saluer ce risque, car c’en est un! La musique ne permet pas toujours de payer son loyer, bien au contraire.
Dans ce sens, structurer l’industrie musicale au Luxembourg, est-ce l’étape suivante pour parfaire son développement ?
On y travaille, mais oui, il manque un vrai marché. Et malgré la bonne volonté, ça reste compliqué. Déjà, le Luxembourg est un tout petit pays, et en son sein, on trouve une multitude de cultures différentes. Du coup, il n’y a pas une seule scène musicale où l’on retrouve tout le monde, mais plusieurs. Prenons le milieu du hip-hop : on y trouve du rap lusophone, français, allemand, anglais… Et ajouté à cela, il y a aussi des styles qui ne se ressemblent pas. Ce morcellement ne rend pas les choses plus faciles. Mais bon, on s’accroche, on y croit et on avance!
Le Luxembourg est-il donc «prêt» désormais ?
Les choses évoluent. Dans les années 2000, si j’avais dit autour de moi que j’allais devenir manager ou bien monter une agence de booking, tout le monde m’aurait ri au nez! De nos jours, ça rigole encore, mais beaucoup moins… Qu’on le veuille ou non, un artiste a besoin d’encadrement, d’appui : s’il s’occupe de tout tout seul, il ne pourra plus se concentrer sur son art et n’évoluera pas. Même si on est dans une ère où le marketing prend parfois plus de poids que la musique, il ne faut jamais négliger l’acte créatif.
D’un point de vue qualitatif, la scène locale est-elle au niveau ?
(Il réfléchit) Disons qu’elle s’entretient. À l’époque, les rappeurs ou groupes hip-hop actifs sur la scène, on pouvait les compter sur les doigts des deux mains. Désormais, il en faut plusieurs paires ! Moi-même, je découvre chaque semaine un nouvel artiste hip-hop au Luxembourg. Bien sûr, les niveaux ne sont pas les mêmes, mais avec ce réservoir qui grandit, la concurrence et les influences tirent tout le monde vers le haut.
Parfois, sur des disques, on oublie même de citer le producteur. C’est triste…
Si les acteurs évoluent, le public suit-il pour autant ?
Pas assez encore, mais ça tient au problème que j’ai évoqué avant : le fait qu’il y ait plein de petites scènes, de petites niches. Chacun a son style, son équipe, mais il faudrait idéalement que tout le monde se rassemble. L’union fait la force, comme on dit, d’où l’utilité du rendez-vous de demain (NDLR : aujourd’hui), qui est un premier pas vers cette envie de réunir les gens. Ça ne sera pas facile, mais il faut bien commencer à un moment…
Ce côté fragmenté de la scène ne constitue-t-il pas aussi un frein à l’exportation ?
C’est un avantage comme un désavantage : bien sûr, une scène difficile à définir, à identifier, ça peut être un frein. Mais je préfère voir la force du multiculturalisme. Il y a des langues qui peuvent s’exporter, si un artiste d’ici arrive à se montrer en dehors du pays, commence à être suivi, à avoir du succès, l’impact n’en sera que plus grand sur la scène locale.
Les mini-vidéos qui accompagnent le «Lx finest : hip-hop» mettent en avant non seulement quelques rappeurs, mais aussi les producteurs. C’est un milieu encore plus dans l’ombre, alors que la qualité est clairement là…
(Il rigole) C’est un problème classique, plus sensible de nos jours. Avant, dans la culture que j’ai connue, le rappeur était toujours proche de son beatmaker et du DJ. On formait un tout. Mais aujourd’hui, il y a cette image du rappeur qui domine la scène et qui fait rentrer l’argent. Parfois, sur des disques, on oublie même de citer le producteur, alors que sa part est prépondérante dans une chanson. Et c’est d’autant plus vrai quand les textes sont fades et ne valent pas grand-chose… Sans l’instrumentation, personne n’écouterait. Sans elle, il n’y a rien! Cette absence de reconnaissance est triste sachant qu’au Luxembourg, il y a d’excellents beatmakers. Certains sont même disque d’or à l’étranger, mais on ne les valorise pas.
Sur la vidéo, vous et votre partenaire de De Läb, Corbi, êtes associés à la jeune Nicool. Est-ce votre protégée ?
Non, chez nous, c’est une grande famille! Et on l’a adoptée, c’est tout. Ce n’est pas parce que c’est une femme qu’elle sera traitée autrement (il rit). D’ailleurs, je suis sûre qu’elle n’aimerait pas ça!
Qu’attendez-vous de l’initiative de demain et, surtout, de la suite ?
Déjà, qu’il y ait de bons échanges et du bon son. Ensuite, j’espère que ça ne s’arrêtera pas là, que les institutions ne vont pas se frotter les mains et se dire : « Là, on a fait quelque chose pour le hip-hop et c’est bon! ». Il ne faut rien lâcher. Toute la scène doit être couverte et il y a encore plein de gens à mettre en lumière. Ils le méritent.
«Lx finest : hip-hop», Atelier – Luxembourg. Ce vendredi soir à partir de 19 h. GRATUIT.
Avec Corbi, Tommek & Turnup Tun, Maz, Culture The Kid, Nicool, DJ PC et DJ L-FLX.