C’est un documentaire sur David Bowie qui ne plaira pas à tout le monde : Moonage Daydream, de l’Américain Brett Morgen, se pose comme une «expérience immersive» et casse furieusement les codes du genre.
Présenté hors compétition au dernier festival de Cannes, en mai, Moonage Daydream, un ovni de 2 h 20, ressemble à son sujet, David Bowie, autant qu’à son réalisateur. Brett Morgen avait signé les documentaires Kurt Cobain : Montage of Heck (2018) sur le leader suicidé de Nirvana et The Kid Stays in the Picture (2002, coréalisé avec Nanette Burstein) sur Robert Evans, producteur star du Nouvel Hollywood (Love Story, The Godfather, Chinatown…).
Au festival de Cannes, Brett Morgen détonne, faisant écouter sur son téléphone, et chantant par-dessus, un titre de Bowie pour répondre à une question, suscitant les regards interloqués de festivaliers et touristes assis non loin. Le cinéaste a également fait le show lors de la montée des marches à la séance de minuit du festival, dansant désarticulé lorsque les DJ chargés de la bande-son du tapis rouge ont passé Let’s Dance, plus grand succès commercial de Bowie. Il était aussi entré dans la salle de projection en levant les poings à la façon de Sylvester Stallone dans la scène de footing culte du premier Rocky.
«Il ne faut pas s’attendre à du classique, il n’y a pas de début, milieu, fin», avait-il prévenu avant la projection. Oubliez donc les formats traditionnels, avec des experts ou proches de l’interprète de Heroes filmés dans des studios d’enregistrement. Ici, on entend et on voit seulement David Bowie parler, avec des archives inédites (ses tableaux, notamment) qui ne sont pas réparties chronologiquement, mais selon des thèmes : le processus de création, l’art et l’argent…
Cinq millions d’archives
« Le spectateur vit ce qui se rapproche d’une «expérience immersive, comme dans un planétarium», selon les mots de Brett Morgen, à qui la succession de l’icône pop a permis d’accéder à plus de cinq millions de documents et archives. Plus de cinq ans de travail ont été nécessaires pour arriver au film.
Le titre du documentaire n’a pas été choisi au hasard. C’est un des morceaux de The Rise and Fall of Ziggy Stardust and the Spiders from Mars, disque culte sorti il y a 50 ans. Moonage Daydream est une chanson-carte de visite cryptique du plus célèbre double de David Bowie : «Je suis un alligator (…) Je suis l’envahisseur de l’espace.»
L’artiste-caméléon a «énormément compté à plusieurs périodes de ma vie», expose le cinéaste. «D’abord à 11-12 ans, dans la puberté, quand je l’ai découvert, c’était puissant, à un moment où je voulais être moi, pas mes parents.» Il l’a ensuite rencontré dans les années 2000 pour un projet. «Ce n’était pas le moment pour lui, Dieu merci, car je n’étais pas encore là où je devais être pour un film sur Bowie», rit Brett Morgen. À la mort du créateur, en 2016, il était prêt, y compris à faire exploser le cadre du documentaire.
Approche artistique
L’un des responsables du legs de Bowie lui confie alors «que David a collecté et préservé ses archives». «Pas pour un travail traditionnel mais davantage pour une plongée immersive, comme celle que je visais.» Puis le cinéaste, aujourd’hui quinquagénaire, a subi une crise cardiaque et est tombé dans le coma. Rétabli, «la philosophie, les mots, l’art de Bowie» ont résonné plus que jamais en lui. «La mort, la réincarnation, Bowie en parlait dès le début, comme dans le morceau Silly Boy Blue», sorti sur son premier album, en 1967, insiste-t-il.
Moonage Daydream perd parfois son spectateur avec les considérations du musicien sur l’espace et le temps. Mais le documentaire fait mouche quand Bowie dévoile des pans de son approche artistique. On aurait pu craindre une hagiographie contrôlée par les ayants droit. Mais les images d’un Bowie aux joues creuses et aux reniflements insistants témoignent des périodes noires des addictions. Et une séquence avec un célèbre soda, sponsor d’une tournée et à l’origine d’une publicité où Bowie partage l’écran avec Tina Turner, met l’artiste face à ses contradictions sur l’art et l’argent.
Moonage Daydream, de Brett Morgen. Dimanche à 16 h 45. Kinepolis Kirchberg (Luxembourg) et Kinepolis Belval (Esch-sur-Alzette).