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[Danse] «Skatepark», quand la danse invite le skate au théâtre


Douze skateurs et danseurs investissent ce week-end la scène du Grand Théâtre dans Skatepark, de Mette Ingvartsen. La chorégraphe danoise dévoile l’envers de ce décor unique, dans lequel sont aussi invités des skateurs locaux.

C’est l’histoire de trois disciplines, pas forcément destinées à se rencontrer sous ce jour : la danse, le théâtre et le skateboard. Tony Hawk, Bam Margera et Shepard Fairey ont grandement contribué à diffuser la culture skate bien au-delà des rues californiennes; la danseuse et chorégraphe Mette Ingvartsen, elle, en fait de l’art avec la pièce Skatepark, qui promet de transformer la scène du Grand Théâtre comme on ne l’a jamais vue.

La Danoise, qui n’a plus quitté Bruxelles depuis ses études, vit aujourd’hui «juste à côté du skatepark des Ursulines», le spot incontournable pour les amateurs de planches. C’est en s’y trouvant un jour qu’elle a eu le déclic : «J’avais déjà travaillé dans les espaces publics, et ce qui m’a frappée avec ce skatepark, c’est que c’est un lieu de vie, où l’on ne fait pas que du skate : les étudiants y viennent pour leur pause de midi, il y a des gens qui chantent, qui dansent…». Mieux que ça : c’est un lieu de «grand brassage» représentatif de la population de la capitale belge, où «toutes les langues et origines sociales» sont réunies, attentivement ou non, autour de la même discipline spectaculaire. Un lieu pour «exprimer la coexistence possible de toutes ces personnes».

Mais la chorégraphe tisse aussi des liens avec sa discipline de choix : le «côté performatif», le «partage des pratiques» et l’entraînement «sans fin» des skateurs sont proches de ce que demande la danse, puis il y a encore «le travail sur l’équilibre, le rapport au sol, la manière d’interagir avec les éléments architecturaux»… «Le skate, c’est une danse en soi», résume-t-elle. Et le skatepark, «une partition» que les interprètes doivent «lire avec le corps».

Prolongements du corps

Âme et symbole de la pièce, le parc à glisse qui fait décor et dans lequel évoluent douze «performeurs» – neuf skateurs («ou rollerskaters», précise Mette Ingvartsen) et trois danseurs – qui ont «un intérêt de bouger». Les roulettes rejoignent ainsi l’arsenal d’outils que Mette Ingvartsen explore comme prolongements du corps, après une pièce qui troquait les patins contre des trampolines (It’s in the Air, 2008) et une performance dans laquelle le langage, par la description verbale des mouvements, devient extension corporelle (The Dancing Public, 2021). La question du corps est centrale dans l’œuvre riche et hybride que construit l’artiste depuis vingt ans et, de même qu’elle s’interroge sur la notion de corps prolongé, elle s’intéresse surtout à l’idée d’une «expanded choreography», chorégraphie «étendue» ou «augmentée».

Cette idée l’a un temps amenée à expérimenter la danse «avec des matières non humaines comme la lumière, le son, les bulles de savon, la fumée, la technologie»… «Skatepark est également conçu dans cet intérêt que je porte aux mouvements qui existent déjà dans le monde, qui deviennent aussi des mouvements sociaux et politiques», dit-elle. À travers son lot de figures impressionnantes et d’acrobaties (dont «une compétition de ollie»), Mette Ingvartsen entend en fait «ce lieu comme une deuxième famille, avec des amitiés, du réconfort», bref, une idée de «communauté».

Communauté et différences

Une particularité du spectacle, créé en avril 2023 à Angers et en tournée depuis, est qu’il invite des skateurs locaux à partager la scène. L’idée est de faire des «sessions libres de 30 minutes» en «prélude» à la pièce, par ailleurs introduite par un «mélange» entre les skateurs-danseurs et les skateurs du coin. À Luxembourg comme ailleurs, c’est avec Damien Delsaux et Thomas Bîrzan, de la distribution, que Mette Ingvartsen chapeaute un atelier sur deux jours avec les adeptes de la discipline qui ont répondu à l’appel ouvert relayé par le théâtre, soulignant par ailleurs une «envie de représenter la diversité» des gens qui la pratiquent. Une conception du skate – et plus largement de la danse – comme réseau social «formé de petites communautés partout dans le monde qui partagent le même langage non verbal, qui se passe de frontières».

Damien Delsaux est le skateur clé dans l’affaire : il est le premier à avoir rencontré la chorégraphe, qui souhaitait de son côté «former une équipe dans laquelle on se sent bien». Cette communauté de skateurs à part s’est en partie enrichie de «certains de ses amis et de jeunes à qui il enseigne sa pratique», pour former au final une distribution où «tous les âges et niveaux sont représentés». Et Mette Ingvartsen insiste sur le fait d’avoir «voulu travailler avec toutes ces différences». «La méthode de travail, dit-elle, a été inhabituelle et intensive pour les skateurs, qui sont habitués aux sessions de deux ou trois heures, puis deux jours de repos avant de s’y remettre.» Les danseurs, certes plus familiers du rythme et des méthodes de travail du spectacle vivant, mais qui sont invités à «reproduire les mouvements et les figures des skateurs, mais sans les roues», ne sont donc pas en reste.

Pour créer cette grande célébration théâtrale du skateboard – et des lieux qui lui sont dédiés –, Mette Ingvartsen a encouragé les performeurs à «faire ce qu’ils savent faire le mieux» et «avec le plus de plaisir». Car, dans ce «petit skatepark de fiction», elle propose un peu de tout : «On glisse, on danse, on chante, on mange, on graffe…». C’est toute une culture qui se propage – sur scène, bien sûr, mais aussi grâce aux participants locaux. Quant à savoir si, à l’heure où les municipalités et institutions culturelles aiment sortir l’art dans l’espace public, Mette Ingvartsen pourrait un jour monter sa pièce in situ, elle craint que le «naturel» l’emporterait alors sur la chorégraphie : tout l’intérêt, finalement, est de transposer l’espace public sur la scène.

Le skate, c’est une danse en soi

La pièce

Mette Ingvartsen explore sur le plateau du Grand Théâtre, reconverti en skatepark, la vitesse et l’énergie du mouvement sur roues. Plus qu’un habile spectacle de prouesses virtuoses, Skatepark marque l’émergence d’une communauté définie par la persistance et le travail acharné au sein de la pratique continue d’individus qui tentent, tombent, se relèvent et repoussent les limites du possible, seuls mais ensemble. Une communauté dont nous pouvons nous inspirer.

Samedi, à 20 h.
Dimanche, à 17 h.
Grand Théâtre – Luxembourg.