La chorégraphe luxembourgeoise Anne-Mareike Hess devient la première artiste associée de Neimënster.
Voilà deux saisons, les responsables de l’abbaye de Neumünster annonçaient vouloir faire de leur Centre culturel de rencontre une maison de référence, au Luxembourg, des résidences artistiques. Mercredi, l’institution du Grund est allée encore plus loin en annonçant que la danseuse et chorégraphe Anne-Mareike Hess, Lëtzebuerger Danzpräis 2015, serait la première artiste associée de son histoire.
Pour rester dans le factuel, cela implique une collaboration pendant trois ans, pendant lesquels celle qui deviendra «une ambassadrice de Neimënster» selon les propos de la directrice des lieux, Ainhoa Achutegui, pourra développer ses projets artistiques dans les quelque 560 m² de logements, ateliers et divers espaces de travail dont dispose le centre culturel pour accompagner les artistes dans leurs créations. Et cela pendant huit semaines, fractionnées, par an, pendant lesquelles l’équipe de Neimënster lui apportera un soutien administratif, technique, en communication…
«Une artiste associée est quelqu’un avec qui échanger sur les résidences, sur son travail, mais aussi sur notre travail», reprend la directrice des lieux, qui précise que la chorégraphe pourra ainsi prendre part, pendant les trois prochaines saisons, aux réunions de brainstorming de l’équipe artistique du CCRN et, pourquoi pas, influencer ses décisions. «C’est aussi pour ça qu’on voulait un artiste confirmé», ajoute la directrice qui reconnaît, par ailleurs, être une grande fan du travail d’Anne-Mareike Hess, «depuis mon arrivée au Luxembourg, en 2007, alors qu’elle était encore toute jeune, 24 ans à peine, mais qu’elle disait déjà haut et fort qu’elle était chorégraphe. Je trouvais ça très courageux.»
Je ne danse pas juste pour danser, même si j’aime évidemment ça
Un courage, selon Ainhoa Achutegui, dont a une nouvelle fois fait preuve la chorégraphe en acceptant cette résidence à long terme dans «une institution qui n’est pas une maison spécialisée dans la danse» et qui ne dispose donc pas nécessairement d’un «public averti» en ce qui concerne la création chorégraphique contemporaine.
«Je ne danse pas juste pour danser, même si j’aime évidemment ça», lui répond Anne-Mareike Hess. «Je ne fais pas de l’art pour toucher uniquement un public convaincu d’avance, mais au contraire, pour toucher de nouvelles personnes», ajoute-t-elle. Et elle poursuit : «Mon but c’est de partager ça avec le plus de monde possible.»
Après des études au Conservatoire de Luxembourg, Anne-Mareike Hess a poursuivi son apprentissage de l’art chorégraphique à Francfort et à Berlin. Dans son travail de créatrice, elle s’est toujours intéressée au corps, à sa représentation sur scène, mais également en société. Interprète à la carrière internationale, ayant notamment collaboré avec William Forsythe, Rosalind Goldberg et Ingri Fiksdal, elle a depuis 2014 présenté ses œuvres Tanzwut (2014), Synchronization in Process (2016), Give a Reason to Feel (2017) et Warrior (2018).
Un partenaire privilégié
Dans cette dernière création, un solo, elle s’intéressait au sens de la force et de la faiblesse à travers les stéréotypes masculins. Pendant son temps de résidence à Neimënster, la chorégraphe va, entre autres, travailler sur une suite à Warrior, Dreamer. «Une suite non officielle» préfère dire la créatrice. Autrement dit, un deuxième opus – qui sera présenté le 4 décembre à l’abbaye –, de ce qui finira par donner une trilogie chorégraphique, avec une troisième création prévue pour 2022.
«Je travaille depuis 13 ans en tant que chorégraphe indépendante, « free-lance » comme on dit en anglais, et j’aime beaucoup ce mot car il intègre le mot « free » (NDLR : «libre» en français), reprend Anne-Mareike Hess. On passe de projet en projet, de ville en ville, de pays en pays, c’est bien, et sur 13 ans, ces périodes courtes finissent par faire des expériences. Mais pour chaque projet, il faut tout recommencer : chercher un théâtre, des financements, des partenaires, etc. Il arrive un moment où c’est bien aussi quand on peut retourner à un endroit qu’on connaît déjà, un endroit sur lequel on peut compter, qui nous pousse en avant et nous soutient sur une longue période. C’est pour ça que l’idée d’être artiste associé à une maison est très intéressante pour un artiste.» D’autant plus, souligne-t-elle, que ce statut ne demande aucune exclusivité en échange de la rémunération prévue. Au contraire : «Liberté est le maître mot» de cette association, assure Ainhoa Achutegui.
Anne-Mareike Hess voit donc ce contrat de résidence pour trois ans comme un «échange mutuel», Neimënster comme un «partenaire privilégié» et l’abbaye, «presque comme une deuxième maison». «Je sais que j’ai ma petite cellule où je peux venir faire des recherches, réfléchir, répéter, discuter avec les différents membres du centre…» Et d’ajouter : «À ce moment de mon parcours professionnel, j’ai vraiment besoin d’un tel lieu.»
Pablo Chimienti
La création chorégraphique truste les résidences à long terme
Le partenariat de trois ans entre Neimënster et la chorégraphe Anne-Mareike Hess annoncé mercredi est le troisième du genre ces derniers mois dans le milieu culturel grand-ducal, a souligné mercredi le directeur artistique du Centre de création chorégraphique luxembourgeois, Bernard Baumgarten : «Simone Musset est artiste en résidence au Théâtre d’Esch et le duo Pierrick Grobéty-Sandy Flinto l’est aussi à la Kulturfabrik.» Des artistes associés à chaque fois pour une période de trois ans et utilisant tous la danse comme moyen d’expression. En effet, si les créations de Pierrick Grobéty et Sandy Flinto sont pluridisciplinaires, elles donnent toujours à la danse une grande place.
«La résidence à long terme est une très bonne formule qui a fait ses preuves à l’étranger et qu’il faut absolument soutenir», reprend le responsable du Trois C-L qui espère d’ailleurs que «ces initiatives vont se multiplier, pas uniquement pour les créateurs chorégraphiques, mais pour tous les artistes des arts de la scène».
Difficile par contre, pour Bernard Baumgarten, d’expliquer ce tir groupé des artistes chorégraphiques en ce qui concerne les propositions de résidence longue durée. «La danse est structurée différemment que le théâtre en ce qui concerne les financements, tente-t-il néanmoins, dans le sens que, au niveau de la création théâtrale, il me semble que ce sont surtout les théâtres qui financent les créations. Au niveau de la danse, par contre, dès le départ, ce sont les artistes qui sont allés à la recherche de financements en tant que créateurs-producteurs. C’est une grande indépendance. C’est peut-être ça qui intéresse aujourd’hui les maisons de création qui se tournent donc vers le milieu de la danse au moment de choisir leurs artistes associés.»
P. C.