Figure majeure de la danse contemporaine, Akram Khan retourne aux sources de la danse indienne avec sa nouvelle création, Gigenis, estimant que le monde moderne «a tendance à oublier le passé».
Né à Londres de parents bangladais, Akram Khan a choisi le sud de la France et le Grand Théâtre de Provence, à Aix-en-Provence, pour présenter en première mondiale sa nouvelle création, qui tournera ensuite de Paris aux États-Unis, de Singapour à Bombay. Une tournée mondiale resserrée pour ne pas s’éloigner trop longtemps de ses enfants. Akram Khan est comme ça, il parle avec simplicité de sa vie, de son rejet du «monde patriarcal» qui est, selon lui, «terrifié par le pouvoir du féminin et du matriarcat».
Comme il évoque sans fard son âge. Si ce spectacle signe son grand retour sur scène, il explique qu’à 50 ans (qu’il a fêtés fin juillet), «l’entraînement, la douleur, ce n’est pas amusant» et qu’il a préféré se «retirer lentement des spectacles en solo» pour se consacrer à «l’espace créatif», près de 25 ans après avoir fondé la compagnie qui porte son nom. Et il est tellement concentré sur ce nouveau spectacle qu’il n’a pas encore eu le temps de regarder, plus d’un mois après sa tenue, la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques de Paris, dirigée par Thomas Jolly, où la danse était omniprésente.
Akram Khan avait participé à la mémorable cérémonie d’ouverture des JO de Londres en 2012, pilotée par le réalisateur Danny Boyle. Une expérience «terrifiante», mais qu’il a «adorée» : «C’était un peu flou, quand 80 000 personnes se taisent avant que nous entrions en scène, c’est la chose la plus bruyante que j’ai jamais entendue.» «C’est ce que Taylor Swift doit ressentir», blague-t-il.
«Vide mythique»
Cette expérience l’a fait beaucoup réfléchir aux «échelles», à l’espace qui est «sacré» dans le kathak, danse classique du nord de l’Inde qu’il pratique depuis l’âge de sept ans qui a imprégné tout son parcours. Avec sa nouvelle création, Gigenis, il délaisse quasiment la danse contemporaine pour une fresque dans la plus pure tradition indienne avec cinq autres solistes reconnus à la gestuelle aussi précise que poétique, accompagnés sur les côtés de la scène par des voix et des instruments, dont d’envoûtantes percussions.
Gigenis signifie «les ancêtres de la terre» pour le chorégraphe qui avait été choisi par Peter Brook dès l’âge de 13 ans pour jouer dans l’épopée de la mythologie hindoue Le Mahâbhârata. «La technologie a tout accéléré. J’ai l’impression que nous sommes un peu dans un vide mythique, les vieux mythes n’ont pas été, n’ont pas eu le temps de se transformer, donc de nouveaux mythes n’ont pas émergé», explique-t-il entre deux répétitions.
«Besoin de courage»
«Le monde moderne a tendance à regarder vers l’avenir et à oublier le passé et je pense que c’est très dangereux, parce que ce qui se passe en ce moment s’est déjà produit lors de la Seconde Guerre mondiale», ajoute le danseur, qui ne cache pas avoir été notamment «dévasté» par la situation au Royaume-Uni qui a connu cet été des émeutes d’extrême droite xénophobes et islamophobes. Les bruits du chaos du monde, d’explosions, sont présents dans ce spectacle sombre où seuls des faisceaux lumineux éclairent les artistes qui évoluent dans un décor dépouillé, avec un banc qui semble une frontière.
Une mère voit sa vie défiler devant un public français qui a eu peu d’occasions de voir de la danse traditionnelle indienne de ce niveau-là : la mort de son mari combattant et ensuite ses deux fils qui s’opposent, l’un cherchant la couronne, à contrôler le monde, quand l’autre souhaite servir le peuple, cherche l’harmonie. Qu’est-ce qui a mal tourné? Et quel est le rôle des artistes dans ce monde?
«Ce n’est pas à nous de changer les choses (…) j’essaie simplement de faire mon travail et d’y mettre tous mes sentiments», commence Akram Khan avant de lâcher : «La peur est une réaction. Le courage est une décision. Nous avons besoin de courage maintenant.»