Comment un Russe et un Américain peuvent-ils échapper au climat de tensions entre leurs pays ? En embarquant dans une fusée pour monter à plus de 400 km, à bord de la Station spatiale internationale (ISS), seul endroit où la coopération entre Moscou et Washington reste entière.
De g à d : les cosmonautes russes Mikhaïl Kornienko et Gennady Padalka et l’astronaute américain Scott Kelly durant une session d’entraînement à la cité des Etoiles près de Moscou, le 5 mars 2015. (Photo : AFP)
Vendredi, l’astronaute américain Scott Kelly et le cosmonaute russe Mikhaïl Kornienko rejoindront ainsi l’ISS pour un an, le plus long séjour d’un humain dans la station depuis qu’elle est en mesure d’accueillir des passagers, en 2000. Et ils auront laissé sur Terre les sujets qui fâchent avant d’entrer dans le laboratoire orbital où les programmes de recherche russo-américain sont légion.
« Il n’y a aucune frontière dans l’espace », résumait en décembre, lors de la présentation de sa mission, Mikhaïl Kornienko, tandis que son collègue américain Scott Kelly assurait « ne pas aborder les questions politiques entre (les) deux pays ». Depuis sa mise en orbite en 1998, l’ISS a été largement financée par la Russie et les Etats-Unis et chaque pays dépend largement de l’autre.
Le principal module de la station est russe et les vaisseaux Soyouz sont, depuis l’arrêt des vols des navettes spatiales américaines, le seul moyen d’acheminer et de rapatrier les équipages. Mais les cosmonautes russes utilisent régulièrement les outils de la NASA, qu’ils jugent de meilleure qualité.
« C’est comme un mariage où le divorce serait impossible. Les Etats-Unis et la Russie ont besoin l’un de l’autre », explique John Logsdon, ancien directeur du Space Policy Institute à Washington, qui assure que la coopération spatiale entre la Russie et les Etats-Unis « continue sans problème majeur », alors que des pans entiers de coopération entre les deux pays ont souffert des sanctions américaines décrétées contre Moscou.
> Le rêve spatial coûte cher
Cette entente cordiale répond aussi à des besoins plus prosaïques. Car le rêve spatial coûte cher et l’économie russe, durement touchée par l’effet conjugué de la chute des cours du pétrole et des sanctions occidentales liées à la crise ukrainienne, est en récession depuis janvier. Fin février, la Russie a dû se résoudre à annoncer la poursuite de sa participation à l’ISS jusqu’en 2024, conformément aux souhaits américains, après avoir longtemps menacé de se retirer du projet après 2020.
« Nous n’avions simplement pas d’autre choix », estime l’expert indépendant russe Vadim Loukachevitch pour qui l’arrêt de la coopération spatiale aurait été beaucoup plus préjudiciable à Moscou qu’à Washington. « Abandonner l’ISS, c’était perdre toute compétence spatiale alors que nous n’avons pas assez d’argent pour développer notre propre station spatiale ». A terme, les deux pays vont toutefois diminuer leur coopération. Une situation qui aura un impact sur le programme visant à aller sur Mars.
« C’est triste, car les vols sur Mars ne seront possibles que grâce à une coopération internationale », estime M. Loukachevitch. Les Américains envisagent un premier voyage vers Mars à l’horizon 2030, grâce à leur nouvelle capsule Orion encore en phase d’essais, mais beaucoup estiment que la NASA devra revoir ses projets sans l’aide de la Russie. Un éventuel voyage vers la planète Rouge est justement l’objet du programme bientôt mené sur l’ISS par Mikhaïl Kornienko et Scott Kelly, qui étudieront les effets d’un séjour prolongé dans l’espace. La coopération spatiale tient bon dans le domaine civil mais les tensions entre les Etats-Unis et la Russie n’ont pas épargné leurs programmes militaires respectifs dans l’espace.
« La Russie est en train de développer un potentiel capable d’interférer avec le nôtre », relève John Logsdon en évoquant ses « inquiétudes » au sujet du programme de défense spatial russe. Un sentiment partagé à Moscou, où l’ancien directeur de l’agence spatiale russe Roskosmos, Oleg Ostapenko, avait annoncé l’année dernière que Moscou pourrait ne plus livrer les moteurs de fusées NK-33 et RD-180, destinés au satellites militaires américains.
Une perspective qui, là aussi, n’arrangerait personne. « Les Etats-Unis achètent nos moteurs RD-180 parce qu’ils sont de qualité mais s’ils étaient contraints d’arrêter, ils auraient les ressources pour fabriquer les leurs », assure Vadim Loukachevitch. Dans l’ISS, Scott Kelly et Mikhaïl Kornienko auront d’autres priorités. « Pour explorer Mars, nous devons mutualiser nos efforts. Nous n’y arriverons qu’ensemble (…) et je suis persuadé que nous pourrions y arriver avant 2030 », a assuré le cosmonaute russe dans une interview au site internet de la NASA.
AFP