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Dans les Balkans, la carte scolaire reste ethnique


En Bosnie, les élèves de différentes ethnies se croisent, mais ne se mélangent pas (Photo : AFP)

Benjamin le Kosovar albanais et Luka le Serbe sont voisins, partagent leur école, mais se croisent uniquement sur le terrain de foot de Palaj: l’un apprend que le Kosovo est indépendant, l’autre que c’est une province serbe.

Dans l’ex-Yougoslavie, au Kosovo, en Bosnie ou encore dans les régions majoritairement musulmanes de Serbie, l’appartenance communautaire décide souvent de l’enseignement reçu. « Sur le long terme, cela provoque des dommages sociaux, de l’instabilité politique », « les élèves serbes chercheront un avenir hors du Kosovo ou vivront hors des réalités et des institutions étatiques », redoute le spécialiste de l’éducation Dukagjin Pupovci.

Après une guerre entre indépendantistes kosovars et forces de Belgrade qui a fait 13.000 morts (1998-99), la minorité serbe du Kosovo, une région majoritairement albanophone, a refusé d’accepter l’indépendance déclarée en 2008 et reconnue par plus de 110 pays.

A Palaj, dans la banlieue de Pristina, une courte majorité des 400 habitants sont des Serbes qui baptisent leur bourgade Crkvena Vodica (« Eau bénite »). Les deux communautés se partagent l’école depuis. Le matin, elle s’appelle « Dositej Obradovic » et accueille 50 jeunes Serbes; l’après-midi, ces derniers laissent la place à 80 Kosovars albanais dans ce qui devient l’école « Fazli Graiqevci ».

Benjamin le Kosovar albanais, 11 ans et fan du Barça, n’y croise jamais Luka le Serbe, 12 ans, qui préfère le Real Madrid. Leurs échanges sont réservés au football. « Chacun parle sa langue. Quand nous ne nous comprenons pas, nous parlons avec les mains », dit Benjamin. Les problèmes sont rares, raconte Luka. Quand ils surviennent, « nous les réglons seuls, nous n’appelons ni parents, ni professeurs ».

Ni politique ni problème

Héritage yougoslave oblige, leurs parents parlent souvent la langue de l’autre. Pas eux. A l’école, Benjamin peut apprendre anglais et français. Côté serbe, le russe est préféré à la langue de Molière. « Nous sommes comme deux trains qui viennent de directions différentes et ne se rencontrent que brièvement dans la même gare », résume le professeur de physique kosovar, Sejdi Preniqi.

Une demi-heure après le départ des Serbes, les Kosovars arrivent. Ainsi, « il n’y a pas de problème », explique le directeur de « Dositej Obradovic », Igor Maksimovic, payé par Belgrade, comme le reste du personnel serbe. Les couloirs sont vierges de tout signe national. « On ne s’occupe pas de politique », ajoute le Serbe Maksimovic. Chacun livre sa version de l’histoire: « Nous vivons sur le même territoire et enseignons deux choses différentes. Je ne sais trop quoi vous dire. »

« Ils travaillent avec leurs programmes, nous avec les nôtres, cela ne provoque aucune tension », renchérit Mevlude Greicevci, son homologue albanaise. Ce directeur et cette directrice d’école entretiennent des relations cordiales, chacun utilisant sa langue pour s’adresser à l’autre. Entre les professeurs, c’est « bonjour bonsoir » quand ils se croisent.

‘Nous créons ensemble’ au lycée

Cette ségrégation, les élèves croates et bosniaques du lycée professionnel de Jajce, ville multicommunautaire du centre de la Bosnie, l’ont refusée. Sur le bâtiment blanc, un graffiti proclame « Zajedno stvaramo » (« Nous créons ensemble »). D’une fenêtre, on voit les ruines de maisons détruites durant la guerre de 1992-95 qui a tué environ 100.000 personnes. Depuis, en Bosnie, Bosniaques musulmans, Serbes orthodoxes et Croates catholiques vivent côte à côte, sans vraiment se mélanger. Leurs programmes scolaires sont distincts.

Mais au lycée de Jajce, où 290 élèves sont bosniaques et 235 croates, tous étudient ensemble. Sauf que l’an passé, les autorités ont décidé de créer un établissement réservé aux Bosniaques. Née six ans après le conflit, Azra Keljalic, qui refuse de se définir comme bosniaque, a lancé la protestation pour « rester ensemble dans une école ». Avec le soutien d’ambassades occidentales, elle et ses camarades ont fait reculer les autorités. Mais leur victoire est partielle: les plus jeunes seront désormais séparés pour l’histoire-géographie, comme c’est déjà le cas pour la religion et la langue.

Séparés, même en récréation

« Nous poursuivons le combat pour (…) un programme unique dans lequel il n’y aura pas deux histoires, deux géographies, deux langues », prévient l’adolescente marquée par ses années de primaire. « Nous ne pouvions être ensemble, même pendant les récréations. Tout était séparé, les classes, les salles des professeurs, même les poubelles. C’est la période où on absorbe le plus de choses, et c’est celle où ils nous empoisonnaient avec ces divisions ». « Nous nous battons contre (…) un catalyseur des haines à venir », dit Nikolas Rimac, 18 ans, un autre meneur.

Cet adolescent qui refuse aussi de se définir comme croate, assistait aux cours de langue bosnienne: « On y enseigne quelques grands écrivains dont on ne nous parle pas en cours de croate ». Ces langues, croate, serbe et bosnienne, sont si proches que beaucoup disent qu’il s’agit de la même, au grand dam des nationalistes. Les adolescents de Jajce ont « vaincu leurs peurs », se réjouit Amela Kavazbasic, professeure de bosnien. De telles initiatives restent toutefois rares.

Globalement, « les nationalistes se sont emparés de l’éducation et l’utilisent comme outil d’endoctrinement », dénonce Nenad Velickovic, professeur de littérature à l’université de Sarajevo.

Le Quotidien / AFP