Un nouvel album de Gorillaz sorti vendredi, Blur ressoudé pour une tournée mondiale : à 54 ans, pas de pré-retraite pour Damon Albarn, cerveau de ces groupes, toujours capable d’un pas de côté.
«Damon Albarn est une icône de la musique, un artiste qui reste pertinent année après année, à l’image de Gorillaz, groupe avec une solide histoire et pourtant actuel, avant-gardiste», dissèque Clément Meyère, programmateur du festival parisien We Love Green, où la formation a brillé en 2022. Le huitième opus de Gorillaz, Cracker Island, propose toujours une pop hybride mais cette fois plus ensoleillée que la précédente livraison, Song Machine : Season One – Strange Timez (2020).
Comme à son habitude, Albarn y convie des voix pour d’heureux métissages au sein d’un album très – trop ? – composite. Oil est ainsi servi par Stevie Nicks, chanteuse de Fleetwood Mac. Un habitué de Gorillaz, Beck, est invité sur Possession Island. Ou encore, sur Tormenta, Bad Bunny, rappeur portoricain ayant décroché trois années de suite (de 2021 à 2023) le Grammy Award du meilleur album de pop urbaine latine et qui est devenu, en 2022, l’artiste le plus écouté sur les plateformes de streaming. En introduction de l’album, c’est le bassiste de jazz Thundercat qui donne de la voix sur Cracker Island, titre éponyme où le «groove» se mêle aux accents electro.
Le but de ces collaborations est toujours le même : nourrir Gorillaz, créature présentée en 2001 comme une formation virtuelle, dissimulée derrière des visuels et clips animés de Jamie Hewlett, dessinateur de la BD culte Tank Girl. Même si le secret d’Albarn, jamais crédité aux premières annonces, fut rapidement éventé : oui, le chanteur sautillant de Blur, un des groupes phares de la «britpop» des années 1990, était bien derrière cette entité mystérieuse incarnée par des avatars, procédé qui deviendra une mode.
«Serial collaborateur»
Ce qui aurait pu tourner au concept fumeux s’est avéré une fusée longue portée. Ont embarqué par le passé des stars ravies de s’encanailler : Elton John, Jean-Michel Jarre, Grace Jones, Robert Smith… Sans oublier la tête chercheuse du rap Little Simz ou MF Doom, savant fou du hip-hop disparu en octobre 2020. Damon Albarn se définit comme un «serial collaborateur». À raison : son premier album solo, Everyday Robots, est sorti en 2014… soit 25 ans après la création de Blur, son premier groupe.
Les concerts sont bluffants, avec des musiciens et choristes en interaction avec les avatars (baptisés Murdoc, Noodle, Russel et 2D) sur les écrans géants qui les entourent. «Avec Gorillaz sur scène, on est plongés dans un univers sonore et visuel qui décloisonne, crée des ponts, il n’y a pas beaucoup d’équivalents, sinon Björk», analyse Clément Meyère. Mais après un passage au festival de Coachella, en avril, Gorillaz va rentrer au garage, tandis qu’un autre bolide d’Albarn va reprendre la route.
Blur, gang mis sur pause plusieurs fois depuis le début des années 2000, rebranche ses guitares pour une tournée mondiale de l’Espagne au Japon. Aucune raison de craindre un set ronronnant à l’écoute des précédents concerts enregistrés lors des reformations antérieures, comme All the People (2009) ou Parklive (2012), deux albums «live» dont les titres sont des jeux de mots sur l’un des singles emblématiques du groupe, Parklife.
Projets surprenants
Avec Albarn, il se passe toujours quelque chose sur scène : parfois, il improvise afin de surprendre les musiciens qui l’accompagnent. Et adore qu’on lui rende la pareille. À Paris, au Bataclan, en 2019, le batteur Tony Allen (disparu en avril 2020) change ainsi en cours de route le tempo pour le plus grand bonheur d’un Damon Albarn au micro de The Good, The Bad & The Queen, supergroupe formé avec Paul Simonon (ex-The Clash) à la basse. On a même vu Albarn souffler dans un long cor droit, instrument à vent d’Islande, son pays de cœur et source d’inspiration de son dernier album solo, The Nearer The Fountain, More Pure The Stream Flows (2021).
Il faut s’attendre à d’autres déclinaisons du touche-à-tout. Il a déjà surpris avec plusieurs projets faisant des ponts entre musiques africaines et occidentales, comme l’album Mali Music (2002), basé sur des échanges avec des artistes maliens, ou l’opéra Le Vol du Boli, associé à l’un des plus célèbres réalisateurs africains, le Mauritanien Abderrahmane Sissako (Timbuktu). En 2015, il s’était emparé du conte de Lewis Carroll Alice au pays des merveilles, qu’il a transformé, avec le spectacle wonder.land, en comédie musicale dans un univers virtuel. Génie et stakhanoviste : qui sait de quoi Damon Albarn est encore capable?
Cracker Island, de Gorillaz.