Après une édition 2020 «peau de chagrin», le TalentLab revient en force pour soutenir la jeune création, et s’étire entre le Bélarus et l’Afrique du Sud. Au point d’en oublier la création locale ?
C’est ce que l’on appelle la rançon du succès. Lancé en 2016 avec, comme philosophie, le soutien aux talents émergents du Luxembourg, le TalentLab peine aujourd’hui à masquer ses envies qui se perdent à l’international. Mais comme le reconnaît Tom Leick–Burns, directeur des Théâtres de la Ville de Luxembourg, ce n’est pas vraiment de sa faute… «Le pays est trop petit pour faire notre soupe entre nous, précise-t-il, se défendant de toujours «porter le flambeau de la création locale».
Parlons alors de circonstance cyclique… «D’année en année, le nombre de propositions change, notamment celles provenant de la place, poursuit-il. Et si on se limite à celles-ci, au bout de cinq-six ans, c’est difficile de continuer…». Pour preuve, cette année, sixième édition, 43 dossiers de candidature venant d’un peu partout dans le monde, notamment du Québec, mais peu du Grand-Duché et de la Grande Région. Pire, «peu d’idées militantes» ou ancrées dans «l’urgence du moment», confient ainsi deux membres du jury de sélection.
Cependant, comme l’«ancrage territorial» reste plébiscité par ce dernier, on trouvera tout de même deux porteuses de projet pas si éloignées du Luxembourg : la Tchèque Jana Montorio (qui y vit) et Camille de Bonhome (de Liège), sans oublier, pour animer leurs créations, des actrices du cru (Anne Moro Brionne, Valérie Bodson, Caty Baccega). Cela reste bien maigre, certes, mais il faudra s’y faire à l’avenir. Car le TalentLab, par sa «forme hybride unique» et son «aspect immersif», plaît bien au-delà des frontières, jusqu’en Afrique et en Asie, avoue-t-on sur place.
«C’est quelque chose d’étonnant qu’il faut vivre !»
Profitons-en, au passage, pour rappeler son ossature : d’un côté, donc, un «laboratoire de recherches» avec des créations en devenir à l’état de maquette, centrées sur trois disciplines (théâtre, danse, opéra), portées par de jeunes promesses soutenues par des parrains-marraines. De l’autre, un festival comme on l’entend, avec spectacles, tables rondes et ateliers. Entre les deux, des «transmissions et échanges» en veux-tu en voilà. Bref, une «mixité» qui pétille et favorise le réseautage.
Tom Leick–Burns résume : «Le jour, on travaille à son projet, on participe à une table ronde et à un atelier, et le soir, on va voir un spectacle. Ce rythme est un bon moyen de se déconnecter de la pression et du processus de création pour se laisser influencer par ce que l’on entend et voit durant dix jours…». De là, des «connexions se font, des projets naissent et se développent… C’est quelque chose d’étonnant qu’il faut vivre !»
Passons donc sur la précédente édition, 100 % numérique, privée justement de son souffle et de sa dynamique, pour mieux se concentrer sur la nouvelle, alléchante. D’ailleurs, tout mettre sur le dos de la pandémie serait injuste : elle a au moins permis d’entretenir plus longuement les relations avec William Kentridge, créateur parmi les plus prolifiques de ces vingt dernières années, et à juste titre, invité du «red bridge project» (sa superbe exposition au Mudam est visible jusqu’à la fin de l’été). Il sera ainsi au Luxembourg pour peaufiner son spectacle Sybil (décalé en raison du Covid-19) et en dévoiler une autre durant le festival (Paper Music).
Se bouger, créer et prendre des risques
Et il ne viendra pas seul, rejoint par son équipe sud-africaine du Centre for the Less Good Idea, qui partage les mêmes valeurs que le TalentLab : «Il offre aux artistes un environnement sûr et un soutien, explique Tom Leick–Burns. Ils peuvent ainsi plus facilement sortir de cette logique de production, expérimenter, se tromper aussi…». Un pont «commun» et «cosmopolite» qui verra d’autres entrer dans la danse, avec des thématiques variées (le mythe européen de Schengen, la perte de mémoire, le souffle, la chute, la laideur-beauté du corps-esprit).
Une belle ouverture et un programme multicouches qui fait dire à Lydie Polfer, bourgmestre de la Ville de Luxembourg, que le TalentLab est la «première vraie sortie de crise» qui, comme on le sait, n’épargne pas les artistes. «Les temps de recherche sont extrêmement précieux, surtout en ces temps de pandémie», rebondit Tom Leick–Burns. D’où cette nécessité, encore plus «urgente», d’appuyer les forces vives. À condition, bien sûr, que tout le monde joue le jeu. L’invitation du Belarus Free Theatre, censuré dans son pays et contraint à l’exil à Londres, symbolise bien l’idée : se bouger, créer et prendre des risques. À bon entendeur !
Grégory Cimatti
6 projets
Hé-Goguette / Camille de Bonhome
Le Retour de la fille prodigue / Jana Montorio
Fucking Beautiful Extended / Natalie Bury
Berms / Wei-An Hwa
The Voice of the Unheard Melody / Fanny Gilbert-Collet
Breath Refrain / Bongile Lecoge-Zulu
7 spectacles
What of Text? / Centre for the Less Good Idea
TRACES / Wim Vandekeybus
Be My Superstar / Alexandra Lacroix
Paper Music / William Kentridge
Generation Jeans / Belarus Free Theatre
In Ritual / Yuko Kominami
Locker Ruf / Annick Schadec
4 Ateliers
2 tables rondes
Du 28 mai au 27 juin
www.lestheatres.lu