Après l’aventure de la capitale européenne de la culture en 2022, la ville d’Esch-sur-Alzette embraye avec sa toute première biennale, prévue l’année prochaine. Histoire de pérenniser ses investissements, ses acquis et sa vision.
Il y a un peu moins d’un an, lors de la cérémonie de clôture de la capitale européenne de la culture, tout le monde, bien qu’exténué par dix mois d’une folle aventure, s’était fait une promesse : ne pas s’arrêter en si bon chemin. Historiquement, celui-ci s’est ouvert il y a une décennie pour le cinquantième anniversaire du théâtre municipal. L’élagage s’est ensuite poursuivi avec la mise en œuvre de la première stratégie culturelle nationale, «Connexions 2017-2027» qui, rien que dans son appellation, montrait déjà que l’on visait bien plus loin qu’Esch 2022. À l’époque, le bourgmestre Georges Mischo s’était dit convaincu d’avoir montré ce dont la ville «était capable». Apparemment, ce n’était que les prémices.
Car depuis jeudi, elle a décidé d’avancer toute seule, comme une grande, sans la prestigieuse étiquette «capitale européenne». Appelons-la désormais «capitale culturelle» tout court, label revendiqué avec la création de sa toute première biennale, qui se déroulera du 17 mai au 28 septembre 2024. La Métropole du fer rêverait-elle de marcher sur les traces d’autres références du genre, comme Lyon, Venise ou Mons? Des visées, elle n’en manque certainement pas, du moins si l’on écoute Daliah Scholl, conseillère communale et présidente de la commission aux affaires culturelles. «Le terme « biennale » n’est pas pompeux, mais plutôt ambitieux», ce qui colle bien à la ville qui «l’est tout autant».
Vision «durable»
Si Loïc Clairet s’y connaît en croissance accélérée, lui qui est à la tête des Francofolies «made in Luxembourg» (et de cette nouvelle biennale), il va toutefois un peu vite en besogne en imaginant Esch-sur-Alzette comme le prochain centre névralgique de la Grande Région. Non, Metz, Nancy et Sarrebruck, pour ne citer qu’eux, ont encore leur mot à dire. Mais qu’importe! Au moins, les principes sont posés à travers une vision «à long terme», ou plutôt «durable» (terme plus dans l’air du temps). Daliah Scholl poursuit avec la même flamme : «Quand on est élu capitale culturelle, on le reste pour toujours!». Ne serait-ce que pour capitaliser ce qui a été entrepris depuis quelques années. Et la liste est longue.
Quand on est élu capitale culturelle, on le reste pour toujours!
Il y a déjà les succès, des bals populaires aux musées qui voient leur fréquentation augmenter, sans oublier les Nuits de la culture et les Francos, qui ont profité de la dynamique pour s’installer pour de bon à Esch-sur-Alzette, et auprès du public. Il y a ensuite le besoin de pérenniser les investissements, et toutes ces structures sorties de terre, rénovées ou rafraîchies : la Konschthal, le Bridderhaus, l’Ariston et le Bâtiment 4, subventionnés par l’ASBL frEsch (qui, au passage, pilotera la biennale). Dans le lot, aussi, celles du quartier de Belval (la salle Plancher des coulées, le Socle C, l’entrepôt Möllerei, le FerroForum). Rappelons que pour «Esch 2022», quelque 280 sites ont été investis.
Ville de demain
Il y a enfin cette synergie observée et à conserver dans un milieu certes réduit mais composite (à l’image du pays), avec deux cibles dans la ligne de mire : les institutions culturelles locales et les communautés. C’est d’ailleurs l’un des quatre points forts soutenant ce nouveau label : «Connecter» donc, mais également «valoriser» la ville (qui regorge de «trésors cachés») afin d’appuyer sur le «levier socio-économique»; «attirer» les touristes d’ici et de plus loin; et «innover» dans la pratique artistique, en n’oubliant pas les créateurs nationaux et les projets inclusifs. Comme le précise encore Loïc Clairet, «Esch a du caractère!». Autant alors y aller franchement et le «montrer».
C’est justement tout l’objet de cette biennale qui, tous les deux ans, se présentera sous la forme d’une «célébration grand public». Car «il ne peut avoir d’intérêt à défendre la culture si elle ne profite pas au plus grand nombre, si elle ne part pas à la rencontre de chacun, si elle n’est pas dispensée à l’école, dans le quartier ou dans la rue», poursuit-il. Pour le coup, derrière le nom de cette première édition, intitulée «Architectures», il faut également (et surtout) y voir un symbole : celui de «construire ensemble la ville de demain».
«Grands Rêveurs»
En attendant, celle d’aujourd’hui, à l’ossature très «distinctive» mélangeant passé et modernité, verra en 2024 ses artères investies de nombreux évènements. «Entre cinquante et cent», disait-on hier du côté de la Maison Meder, bel exemple de ce modèle urbain unique, étant en effet l’un des rares édifices de style «art nouveau» au Grand-Duché. Si tout est encore à l’état de bourgeon, il y a quand même quelques certitudes : ainsi, la soirée d’ouverture rappellera Esch 2022, avec le retour à la maison du Cirque du Soleil (Reesch’ E’vol), tandis que celle de clôture sera sous le signe de la comédie musicale (Sl’Esch), assurée par le Conservatoire.
Entre les deux rendez-vous, de «gros projets» – dont la double exposition portée par la Konschthal en pleine ville (DIS-PLACED) et le programme qui fusionne art et numérique (Elektron) – comme des plus classiques (concert, résidence, conférence, atelier, visite, théâtre, littérature…). Pour résumer, des propositions «novatrices» et d’autres «préexistantes», qui s’incrusteront au fur et à mesure dans la programmation. Reste maintenant à savoir si, sans l’attraction qu’est le titre «de capitale européenne», le public suivra. Car sans ses «Grands Rêveurs» (le nom donné aux habitants par les organisateurs), les bonnes intentions ne dépasseront pas le cadre de l’entre-soi. Et le réveil risque d’être difficile pour la ville.