Présenté en séance spéciale hors compétition au 75e Festival de Cannes, le film d’animation Le Petit Nicolas – Qu’est-ce qu’on attend pour être heureux?, coproduit au Luxembourg par Bidibul Productions, est un très bel hommage à la fois au turbulent héros et à ses deux papas, Sempé et Goscinny.
Six mois à peine après sa troisième adaptation «live» (Le Trésor du Petit Nicolas, de Julien Rappeneau), le héros haut comme trois pommes fait son retour sur grand écran, en séance spéciale du festival de Cannes et en animation. Autant le dire tout de suite, on ne trouvera pas mieux que Le Petit Nicolas – Qu’est-ce qu’on attend pour être heureux?, coproduction franco-luxembourgeoise réalisée par Amandine Fredon et Benjamin Massoubre, comme transposition sur grand écran de l’univers de Jean-Jacques Sempé et René Goscinny : à la fois adaptation et hommage aux auteurs, voici un film «méta» bourré de bonnes idées.
Réalisé à partir de dessins signés Sempé – aujourd’hui âgé de 89 ans – et coécrit par Anne Goscinny, fille et garante de l’héritage artistique du scénariste, le film commence par la rencontre décisive entre les deux acolytes, à la terrasse d’un café du Paris de l’après-guerre. La création, ensuite, de ce petit personnage dont le nom a été trouvé de manière providentielle, quand, assis à cette terrasse, ils voient passer un bus affichant une publicité pour le caviste Nicolas. Et très vite, le gamin prend forme, les histoires aussi… et pas seulement dans la tête des auteurs.
Car dans leurs ateliers respectifs, le dessinateur et l’écrivain ne se contentent pas d’inventer : le «petit garçon d’encre noire» leur apparaît pour de bon. Au fil de leurs conversations surgit ce qui servira de base aux courtes histoires (plus de 200 écrites en dix ans), mécanisme brillant d’un scénario qui fonctionne par associations d’idées. Les histoires adaptées du premier recueil du Petit Nicolas (Les Cow-Boys, Le Football ou encore Louisette, toutes fidèlement mises en scène, y compris dans la création des couleurs par aquarelle) s’intercalent ainsi entre les séances de travail des auteurs, qui écoutent les désirs de leur personnage et qui, en retour, lui racontent leurs souvenirs : chez Goscinny, la déportation, pendant la guerre, d’une grande partie de sa famille restée en France, quand lui et ses parents avaient quitté Paris pour l’Argentine; chez Sempé, une vie pauvre avec un père alcoolique et une mère autoritaire. Le fil rouge continue de se tisser : Nicolas, c’est l’enfance rêvée que ses deux papas n’ont jamais eue.
En une heure vingt, Le Petit Nicolas – Qu’est-ce qu’on attend pour être heureux? condense tout cet univers en l’agrémentant de quelques précieuses informations sur la création du personnage et de quelques clins d’œil aux autres créations de Goscinny (Lucky Luke et Astérix… dessinés par Sempé!). La dimension biographique, qui met l’accent sur l’amitié entre les auteurs, fait la part belle à l’émotion; les voix de Laurent Laffitte (Sempé) et Alain Chabat (Goscinny) apportent un naturel étonnant aux personnages. À noter que le film est rythmé par une excellente bande originale jazz composée par Ludovic Bource, qui ne joue plus le pastiche, comme il l’a souvent fait chez Hazanavicius (les deux OSS 117, The Artist), mais colle à l’atmosphère de l’époque avec un «swing» réjouissant.
Valentin Maniglia