Cette semaine : Yasuke, série d’animation/fantasy de 6 x 30 minutes, de LeSean Thomas, disponible sur Netflix.
La légende de Yasuke est l’une des mieux gardées du Japon féodal. Elle a fait couler peu d’encre mais n’en est pas moins une source intarissable de fantasmes, tant l’histoire de celui qui serait devenu le «samouraï noir» brille par ses innombrables points d’ombre. Il serait né au Mozambique, et l’on sait qu’il est arrivé au Japon à la fin du XVIe siècle alors qu’il était la propriété du missionnaire jésuite italien Alessandro Valignano. Celui-ci l’offre au seigneur de guerre Oda Nobunaga, aussi terrible qu’excentrique, qui n’avait jamais vu de personne à la peau noire. Impressionnant les Japonais par sa taille et sa force, l’esclave, désormais rebaptisé Yasuke, est au service de Nobunaga, qui en fait son porteur d’armes. L’armée de Nobunaga, pourtant puissante, est défaite à Kyoto, après avoir conquis une grande partie du Japon; le seigneur se donne la mort par hara-kiri et Yasuke, fait prisonnier puis relâché, disparaît ensuite dans la nature.
Depuis les années 2000, le personnage pique l’intérêt des mangakas et des développeurs de jeux vidéo. Peu de temps après le succès de la production Marvel Black Panther (Ryan Coogler, 2018), son acteur principal, Chadwick Boseman, allait lui aussi produire un long métrage inspiré de la vie du samouraï dans lequel il allait incarner le rôle principal, avant d’être terrassé par un cancer, en août dernier. Au moment où le projet de Chadwick Boseman est envisagé, Netflix s’associe à la société de production japonaise MAPPA (Banana Fish, Dorohedoro, Attack on Titan…) pour développer, sous la forme de série animée, une autre version de la légende de Yasuke, qui promet d’être plus fantasque, plus barrée.
Une série qui remplit les vides de la biographie de l’esclave devenu samouraï
Et Yasuke, qui a débarqué sur Netflix fin avril, ne faillit pas à ses promesses : dès les premières minutes, la série installe un rythme effréné en démarrant sur une immense séquence de bataille, celle qui voit la fin d’Oda Nobunaga, encerclé dans son château par une armée surpuissante, forte aussi parce qu’elle possède… de destructeurs robots géants! Oui, le spectateur est immédiatement plongé dans un XVIe siècle alternatif, décoré par le créateur LeSean Thomas à l’aide de figures incontournables de la pop culture japonaise ici revisitées : samouraïs et «mechas», donc, mais aussi magiciens et «ours-garous»… Il va sans dire que l’univers dingue de la série, rehaussé par une bonne dose d’expressionnisme gore – sans être grand-guignolesque pour autant –, amène l’«entertainment» jusqu’à des niveaux stratosphériques.
La production américano-japonaise signée LeSean Thomas – qui avait notamment réalisé la série d’animation Black Dynamite, adaptée du film homonyme de 2009 – remplit ainsi les vides de la biographie de Yasuke avec une imagination on ne peut plus débridée. Après la mort du seigneur Nobunaga, le samouraï range son katana et s’établit dans un village au bord de l’eau, où il devient batelier. Deux décennies après la fameuse défaite, Yasuke continue d’être en proie à des cauchemars, hanté par la silhouette du Daimyo, qui a écrasé l’armée de son ancien maître. Et son alcoolisme n’arrange rien. Mais quand il rencontre Saki, une jeune fille dotée de puissants pouvoirs magiques, le batelier décide de rengainer l’épée et d’affronter le Daimyo.
Rythmée par des flash-back qui en révèlent plus sur la relation entre Yasuke et Nobunaga, avec le choix de montrer le seigneur de guerre comme un homme résolument progressiste – il met à la tête de son armée l’ancien esclave et une femme samouraï, et, au fil des retours en arrière, on lui prête même une relation homosexuelle –, la série étonne par le ton très contemporain de ses thématiques. Mais en voulant aborder beaucoup de sujets, Yasuke finit par en faire trop : le scénario devient un joyeux bordel au fur et à mesure que les ennemis se multiplient, si bien que l’on finit par ne plus vraiment croire au (trop) mystérieux Daimyo comme le grand méchant le plus dangereux de l’histoire.
Les créateurs auront sans doute l’occasion de reprendre les points faibles de la série dans une probable deuxième saison, et c’est tant mieux, car Yasuke est avant tout un véritable plaisir pour les yeux et les oreilles. Pratiquement «ovniesque», son esthétique visuelle est éblouissante, riche en couleurs – les cieux sont mauves, rouges… – et est portée à son apogée dans une série de séquences hallucinatoires sans équivalent dans l’histoire de l’anime japonais. Ajoutons à cela la bande originale electro-jazz signée Flying Lotus, qui mélange percussions africaines et expérimentations électroniques, et la beauté du générique de début, chanté par Thundercat. Dernière particularité : la version originale est en langue anglaise, Yasuke étant doublé par le toujours génial LaKeith Stanfield, qui incarne le héros taiseux avec une voix lasse, aux antipodes des exagérations des doubleurs japonais. Mais, sans doute pour aller de pair avec la folie de l’objet, on lui préférera le doublage nippon…
Valentin Maniglia