Notre critique de la série Uzumaki de Hiroshi Nagahama.
Quiconque est familier avec l’univers de Junji Ito peut, d’abord, se féliciter d’avoir l’estomac bien accroché. Le mangaka est sans doute l’un des plus virtuoses en activité – preuve en est des nombreuses distinctions qu’il a reçues, dont le très prestigieux Prix Eisner en 2021, et des rééditions régulières de ses œuvres –, unique pour son coup de crayon qui donne vie à ses cauchemars les plus dérangeants – et dérangés. Forcément, ses récits fantastiques peuplés de monstres hybrides (largement inspirés par l’univers de Lovecraft), son statut (mérité) de maître du manga horrifique et son expression sans concession de l’horreur, répugnante et poétique, terrifiante en absolu, dans le dessin comme dans le scénario, ont été un défi terrible pour qui s’y est déjà essayé. Autant que pour ceux qui ont vu les films, d’ailleurs, et pas pour les bonnes raisons.
Le récit d’Uzumaki, adapté de Spirale (1998-1999), autre œuvre phare de l’auteur de Tomie (1987-2000), se situe dans la petite ville isolée de Kurozu, bordée par la mer et encerclée par les montagnes. L’intrigue tient en réalité en bien peu de mots : un jour, des spirales commencent à y apparaître un peu partout. Dans le ciel, dans l’eau, dans l’air, sur les gens. Les spirales affolent, obsèdent et consument (littéralement!). Ce n’est bien sûr que le début du cauchemar. On y croise plus tard des corps déchirés et étirés en forme de spirale, d’autres qui s’enlacent à l’infini «pour ne plus jamais se quitter», sans oublier les inévitables humains-escargots. En bref, c’est toute la ville qui se transforme en spirale, et les habitants qui subissent le carnage. «Happy Halloween!»
Dans tout ce chaos, on suit une poignée de personnages – les rares à survivre jusqu’à la fin – et puis une longue galerie de citoyens honnêtes qui, l’un après l’autre, sont absorbés et finalement tués (ou pire, transformés en escargots, un plat peu ragoûtant, même vivant, que cet anime aime servir un peu trop souvent) par les spirales. Pour Kirie, son petit ami, Shoichi, et quelques autres, l’enfer est total. Les quatre épisodes qui composent la minisérie y vont un peu fort (l’euphémisme aussi est total) sur la compilation d’atrocités, au risque d’y perdre rapidement des spectateurs même aguerris; mais il faut reconnaître que de Junji Ito, parmi toutes les adaptations qui ont fleuri partout, comme les spirales (encore récemment sur Netflix), c’est cet Uzumaki complètement chtarbé qui en encapsule l’âme, le sous-texte philosophique (car il y en a un, même enseveli sous des montagnes de chair) et le goût du noir et blanc qui donne à l’effroi cet effet hallucinant. On admettra tout de même que, même pour qui est fan de l’auteur, tout ça ne suffit pas à faire une bonne série.
La durée de celle-ci, au total tout juste celle d’un film, est un tour de force, mais elle parvient à ramasser l’épais roman graphique, avec même un peu de gras et un dernier épisode peu satisfaisant au regard des trois précédents. Mais derrière le grand récit fantastique et toutes les horreurs qu’il engendre, derrière les amourettes et rivalités de lycée et les drames familiaux, c’est bien de dynamiques du monde que l’on parle ici, entre humains, entre humain et nature, ou contre-nature, ou surnaturel, ou inhumain. Une chronique de la fin du monde, en somme, dans ce que la fin d’un monde peut avoir de plus sordide et grand-guignolesque – et l’anime n’hésite pas à cueillir au vol les moments de poésie et d’humanité qui en émanent, toujours de la façon la plus bizarre qui soit.
À une autre échelle, la minisérie a subi aussi une descente aux enfers, elle qui était en production depuis 2019 avant d’être retardée par le covid, la réorganisation de HBO (dont elle fait partie du catalogue) et les grèves d’Hollywood. Et aujourd’hui encore, on se demande comment un tel objet a réussi à atterrir un jour officiellement sur les écrans. Le pouvoir de la spirale, sûrement.
Uzumaki de Hiroshi Nagahama. Genre horreur/animation. Durée 4 x 28 mn. Max.