Cette semaine, Le Quotidien s’intéresse à la série Ovni(s), de Clémence Dargent et Martin Douaire, diffusée sur Canal+.
Canal+ sait faire monter la sauce. Après une série de teasers qui laissaient (faussement) deviner un esprit à la OSS 117, les Ovni(s) ont débarqué sur la chaîne payante. On est en 1978, dans la seconde moitié du mandat de président de Valéry Giscard d’Estaing. Claude François vient de mourir, la France tombe amoureuse du couple John Travolta et Olivia Newton-John dans Grease et le chouchou du cinéma français, François Truffaut, fait une apparition dans le nouveau film de science-fiction d’un jeune réalisateur américain prometteur, un certain Steven Spielberg.
À Toulouse, au Centre national d’études spatiales (CNES), on travaille au lancement de la fusée Ariane, dont le premier vol sera effectué un an plus tard à Kourou, en Guyane. Travailler sur le projet Ariane, c’est le prestige que veut atteindre l’ingénieur Didier Mathure, mais son avenir au CNES est compromis lorsqu’il fait – involontairement – exploser une fusée. Mis sur la touche, le directeur du centre spatial l’éloigne des véhicules spatiaux en lui confiant la direction du Groupe d’études des phénomènes aérospatiaux non identifiés (Gepan), un bureau qui sonne plutôt comme une mauvaise blague que comme un véritable groupe d’études.
Melvil Poupaud incarne un personnage au parfait look de papa des années 70, avec un sens de la comédie à mi-chemin entre Marcello Mastroianni et Louis de Funès
Quelques mois après son apparition en prof moustachu dans Été 85, l’acteur fétiche de François Ozon et, jadis, celui de Raoul Ruiz, qui l’a fait débuter au cinéma, Melvil Poupaud apparaît poils sous le nez, chemise blanche à manches courtes, bref, le parfait look du papa années 70. Divorcé et excessivement terre-à-terre, le personnage de Didier Mathure, qu’il incarne avec un sens de la comédie à mi-chemin entre Marcello Mastroianni et Louis de Funès, perçoit sa nomination comme une relégation au placard. À raison : on entre dans le bureau du Gepan comme dans un local de concierge, par une porte à la vue de tous mais que personne ne remarque. À l’intérieur, entre les plantes vertes, les théories du complot épinglées au mur et un téléphone qui sonne sans arrêt pour signaler des phénomènes paranormaux qui finalement n’en sont pas, Didier Mathure a un peu l’impression d’être tombé chez les fous. Et pourtant.
Première série du duo Clémence Dargent et Martin Douaire, qui ont commencé à développer ce projet après leur rencontre en école de cinéma, Ovni(s) pourrait souffrir d’un trop-plein de références pop et d’une durée assez longue (douze épisodes de trente minutes). Il n’en est rien. Les jeunes créateurs de la série s’attachent à retransmettre, avec tendresse, l’esprit d’une France où l’on croyait voir des petits hommes verts partout, faisant la une des magazines et des journaux télévisés : c’est les débuts, sur TF1, des frères Bogdanoff, et le journal de 20 heures est alors présenté par Jean-Claude Bourret, auteur de nombreux ouvrages sur les extraterrestres, ajoutant à la valeur de cette quasi hystérie collective.
Le duo derrière Ovni(s) est, de toute évidence, fan de The X Files : la trame de cette première saison (une deuxième est déjà dans les tuyaux) reprend peu ou prou les débuts de la célèbre série américaine, liant les apparitions d’êtres venus d’ailleurs aux complots gouvernementaux, et avec un protagoniste qui marie l’incrédulité de Dana Scully à la dévotion sans faille à la recherche de la vérité de Fox Mulder, les deux héros créés par Chris Carter. Mais Ovni(s) est avant tout une série qui joue autant sur le registre de la comédie que sur celui de la science-fiction. La recherche esthétique, très pop et colorée, va chercher du côté de Jacques Tati ou de Quentin Dupieux, en mettant l’accent sur l’absurde et le non-sens, délicieusement amenés au détour de scènes tout droit sorties des véritables dossiers du Gepan : l’errance d’un homme au milieu d’un champ – qui deviendra quelques épisodes plus tard une sorte d’apôtre du message extraterrestre, version à peine maquillée et génialement écrite du gourou Raël – attaqué par des dizaines de flamants roses qui tombent du ciel, ou encore l’apparition d’une aveuglante soucoupe volante en pleine forêt, qui est en réalité une boule disco géante tombée d’un camion.
En plaçant déjà ses pions pour la prochaine saison, que l’on peut espérer pour 2022, la série s’interdit de plus développer certains aspects du scénario – dont une étrange sous-intrigue en Laponie – mais reste plus que généreuse dans son traitement du sujet, qui brasse bon nombre de thèmes, allant jusqu’à inclure l’apparition d’un jeune Steven Spielberg, qui se rend auprès du Gepan à la recherche d’inspiration pour un futur film, l’histoire d’un extraterrestre débarqué sur Terre et qui trouve de l’aide pour retourner sur sa planète. Mais le véritable plaisir réside surtout dans sa troupe d’acteurs, Melvil Poupaud en tête dans un rôle assez inédit, loin de l’icône dramatique qu’il est pour le cinéma français, et son entourage : l’attitude «geek» avant l’heure du génial Quentin Dolmaire, le chasseur d’ovnis vieillissant et touchant joué par Michel Vuillermoz, sociétaire de la Comédie-Française que l’on retient aussi pour ses rôles chez Albert Dupontel, la lumineuse Daphné Patakia… Rythmée au son de l’excellente bande originale electro de Thylacine et avec le meilleur générique de début du moment, Ovni(s) est la preuve irréfutable que le paysage audiovisuel français est encore capable de belles pépites qui sortent des sentiers battus.
Valentin Maniglia