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[Critique série] «Mafia Spies» : mission top secret à La Havane


Tout le paradoxe d’un documentaire de cette ampleur est de confirmer une réalité aujourd’hui certaine, mais que le grand secret a depuis toujours difficile à prouver matériellement. (Photo Paramount+)

Avec Mafia Spies, Tom Donahue s’intéresse à la tentative d’assassinat de Fidel Castro par les Etats-Unis. Six épisodes pour dérouler un documentaire incroyable mais vrai

En 1975, la «commission Church», lancée par le sénateur du même nom pour superviser et lever le voile sur les nombreux excès des différents services du renseignement américain, convoque John Roselli et Sam Giancana, deux vieux gangsters de Chicago, à témoigner sur leur implication dans la tentative d’assassinat du leader de la révolution cubaine, Fidel Castro, commanditée une douzaine d’années plus tôt par la CIA. Le temps aidant, cette histoire oubliée peut aujourd’hui être racontée avec précision et exhaustivité, plus de soixante ans après les faits; elle n’en semble pas moins sortie des plus folles aventures de James Bond. Après tout, «les années 1960 étaient l’âge d’or du contre-espionnage», rappelle Thomas Maier, auteur du livre-enquête Mafia Spies, dans le documentaire du même nom de Tom Donahue.

Fraîchement sorti de deux excellents projets – le portrait du crooner Dean Martin : King of Cool (2021) et la minisérie instruite et tendue Murder of God’s Banker (2021, déjà pour Paramount+) –, le réalisateur replonge tête la première dans ces eaux troubles uniquement peuplées de gros poissons, où les frontières sont poreuses entre politique internationale, crime organisé et monde de l’«entertainment».

Le long de six épisodes, Donahue déroule un récit incroyable mais vrai, éclairé par un impressionnant casting de témoins directs et de spécialistes, avec une mise en scène décomplexée qui évoque les grands classiques hollywoodiens des films d’espionnage, de mafia et de thrillers politiques. Avec les inévitables «split-screens», nombreuses séquences de casino ou de «back rooms», le générique inspiré de Saul Bass et une bande originale héritée des «big bands» de jazz du plus bel effet.

De vraies «gueules»

Ne perdant jamais de vue l’idée que «tout personnage de cette histoire est un menteur invétéré», tout le paradoxe d’un documentaire de cette ampleur est de confirmer une réalité aujourd’hui certaine, mais que le grand secret a depuis toujours difficile à prouver matériellement. Surtout quand quelques-unes des personnes concernées par le complot s’appellent Frank Sinatra, John F. et Bobby Kennedy ou Allen Dulles (premier directeur de la CIA). De l’autre côté, on connaît mieux le nom que le visage des mafieux, qui ont pour habitude de se tenir loin des caméras et appareils photo.

Les zones d’ombre à illustrer, au même titre que les conditions farfelues de l’affaire, amènent naturellement le réalisateur à recourir à des reconstitutions muettes, qui sont pour lui un vrai terrain de jeu. Ses acteurs, d’abord, ont de vraies «gueules» : sans dire un mot, Nick Annunziata et Chris Pinto, qui prêtent leurs traits à Johnny Roselli et Sam Giancana, cherchent à retransmettre au plus près les attitudes des gangsters, mais aussi, à mesure que le piège se referme sur eux, leurs états d’âme.

En eaux troubles avec les gros poissons, entre politique internationale, crime organisé et monde de l’«entertainment»

C’est un monde et une époque, explique-t-on, où tout le monde se rêve un peu star de cinéma. JFK est inspiré par James Bond, les mafieux aiment avoir Sinatra à leurs côtés… Mais dans ce complot, la réalité tourne souvent en ridicule l’idée que l’on s’en fait, comme c’est le cas pour deux autres rouages de la conspiration : l’espion Bill Harvey, le «James Bond américain», a le physique d’un «flic obèse» et une attitude plutôt bonhomme, tandis que le comportement de Robert Maheu, ex-agent secret devenu détective, et dont les exploits ont été la source pour la création de la série Mission : Impossible (1966-1973), le révèlent plus véreux que héros. C’est l’un des éléments qui réussissent brillamment à Mafia Spies : la nécessité de gratter derrière le vernis de ce que le «show-business» a figé pour toujours dans la légende.

Une esthétique brillante

Le complot contre Fidel Castro, lancé par la CIA dès les dernières heures du gouvernement Batista, est raconté en détail pour plus de la moitié de la minisérie. Une entreprise aussi acharnée que vaine, et qui tourne rapidement au grotesque et au comique de répétition. C’est aussi le propre de cette série à l’esthétique scintillante que d’offrir une érudite tranche d’histoire en s’amusant de l’ironie de la situation globale, de l’arrogance américaine et de la fiabilité franchement douteuse qui règne, tant dans le camp de l’État américain que dans celui de ceux que l’on appelle bien les «wise guys».

Pourtant, si tous les tenants du récit (le soutien de la mafia à Sinatra au plus bas de sa carrière, le remerciement du chanteur qui met en lien les criminels et Kennedy, le «deal» entre la CIA des mafieux pour garder le contrôle des casinos de La Havane…) sont parfaitement clairs, ses aboutissants, relatés dans les deux derniers épisodes, cachent encore quelques secrets. Le temps de tisser des liens évidents en conclusion, et l’histoire s’est déjà répétée avant d’offrir ses réponses…

Mafia Spies de Tom Donahue. Genre documentaire/espionnage. Durée 6 x 50 minutes. Paramount+