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[Critique série] «Il Gattopardo» : dans l’ombre de Visconti


Retrouvez la critique série de la semaine.

Depuis l’avènement du streaming et par ruissellement, celui des séries, il n’est pas rare qu’un film, même emblématique, subisse un lifting, sorti des placards de l’Histoire, dépoussiéré et découpé en morceaux par de riches plateformes qui ne se refusent rien. Pour satisfaire les besoins d’un réalisateur qui n’a pas tout dit, changer d’angles de vue ou développer des récits parallèles, la formule prospère, parfois pour le meilleur, souvent pour le pire. Face aux belles réussites (comme Fargo), les échecs (Psychose, Willow…) rappellent que le geste est délicat, même si l’espoir reste de mise, comme doivent se rassurer actuellement les fans de la saga Alien, adaptée cet été pour le petit écran par Disney+.

De son côté, Netflix, lui, fait fort en osant s’attaquer à un mythe du cinéma : Il Gattopardo, chef-d’œuvre en Technicolor signé Luchino Visconti qui, tiré du roman de Guiseppe Tomasi di Lampedusa, a marqué son époque. À Cannes, en 1963, il raflera la Palme d’or, et en images, l’Italie redécouvre alors son passé avec cette histoire sur la décadence de la noblesse au XIXe siècle, secouée par une révolution devant aboutir à l’unification d’un pays tout entier. Comme la scène finale du bal, mémorable, tout y est parfaitement orchestré. Et dans une ambiance crépusculaire, soutenue par la musique de Nino Rota, un trio d’acteurs emballe la légende : Burt Lancaster, Alain Delon et Claudia Cardinale.

Si nous voulons que tout reste pareil, il faut que tout change!

Confiée au scénariste britannique Richard Warlow (The Serpent), la série s’étend d’avril 1860 à octobre 1962. Au centre, toutefois, la même histoire : celle du Prince de Salina, dit le «Guépard», gentilhomme dont la seule aspiration est de défendre les terres et les acquis de sa famille qui règne sur la Sicile depuis un siècle. Mais l’insurrection menée par Garibaldi et ses hommes menace le vieux monde, et l’aristocratie tire la langue face à la bourgeoisie montante. L’animal, vieillissant et grisonnant, doit alors s’adapter, quitte à briser le cœur de sa fille Concetta en organisant un mariage entre son neveu Tancredi, jeune loup ambitieux, et Angelica, fille d’un nouveau riche qui cherche, comme d’autres «hyènes», à prendre le contrôle du Royaume d’Italie.

Comme la série le précise à la fin de chacun des six épisodes, elle s’inspire d’abord du roman original et non de l’œuvre de Luchino Visconti, afin sûrement de se soulager d’une référence bien trop encombrante. Et c’est sûrement la bonne solution pour apprécier ce Gattopardo modernisé. À ce stade, une question s’impose : disposant du double du temps de son modèle (six heures au total) qu’apporte alors cette version ? D’abord des plans qui s’attardent sur la beauté de la campagne sicilienne, écrasée par un soleil de plomb. Ensuite, et c’est là la grande nouveauté, une mise en lumière d’un personnage resté au second plan dans le film : celui de Concetta, promise à Dieu mais qui, aussi têtue que son père, s’impose comme une progressiste (pour ne pas dire féministe), détricotant les dynamiques du pouvoir patriarcal dans une légèreté qui ramène à La Chronique des Bridgerton ou Emily in Paris.

Comme c’est régulièrement le cas, en voulant rajeunir le discours pour le mettre à la portée du nouveau public, Netflix simplifie les caractères quitte à les rendre trop lisses. Une approche standardisée dont fait les frais le personnage d’Angelica. Si, à l’époque, le rôle de Claudia Cardinale était un modèle d’ambiguïté, celui joué par Deva Cassel (fille de Vincent Cassel et Monica Bellucci) manque de profondeur et, paradoxalement, de charme. Côté casting, tout n’est pas loupé : Saul Nanni fait ce qu’il peut, mais personne n’a le charisme d’Alain Delon, tandis que Kim Rossi Stuart est touchant comme patriarche coincé «entre les temps modernes et les temps anciens», et jamais vraiment «à l’aise dans les deux».

Avec ses soins apportés aux costumes, à la mise en scène et à la musique (avec notamment l’air entêtant Va pensiero de Verdi), Il Gattopardo ne loupe pas la cible, mais ne vise pas juste non plus. Quid, en effet, de tout l’aspect historique et de la fine réflexion sur la fin de l’époque «des rois et des prêtres» au profit d’une nouvelle caste de dirigeants avec qui «tout sera différent, mais en pire» ? C’était la force du livre et du long métrage, pas celle de la série qui privilégie la romance et les sentiments. Dans ce jeu, il est vrai complexe, des comparaisons, reste au milieu la célèbre réplique de Tancredi, qui explique à son oncle : «Si nous voulons que tout reste pareil, il faut que tout change!». Une phrase qui pourrait être aujourd’hui le slogan des plateformes de streaming, réinventant à tout-va, laissant alors le puriste à un rôle ingrat : celui de guépard.