La critique de cette semaine : En thérapie d’Éric Toledano et Olivier Nakache, disponible en replay sur ARTE.
Avant d’expliquer le bien-fondé du succès d’En thérapie, nouvelle série estampillée ARTE qui cartonne dans les foyers – plus de douze millions de vues sur le site de la chaîne franco-allemande en dix jours – deux remarques s’imposent. D’abord, pourquoi cette version de BeTipul, concept né en 2005 en Israël, a mis autant de temps pour arriver en France, pays pourtant porté sur les anxiolytiques et les séances de psychanalyse ? Ensuite, comment justifier que l’on retrouve à sa tête le duo Éric Toledano-Olivier Nakache, plus à l’aise dans un registre «feel good», entrelaçant drame et comédie (Intouchables, Samba, Le Sens de la fête, Hors normes) ? Au-delà du questionnement et de la surprise, disons qu’En thérapie arrive à point nommé, alors que les névroses n’ont jamais été aussi sensibles, agitées par une pandémie qui sape le moral.
Oui, il aura fallu attendre quinze ans pour ce succès mondial arrive enfin sur un divan français, alors qu’il a déjà traversé la planète comme toute franchise qui se respecte (Japon, Serbie, Portugal, Italie, Argentine…). L’adaptation la plus connue reste toutefois l’américaine, vue sur HBO (2008-2010), réalisée par Rodrigo Garcia avec Gabriel Byrne dans le rôle du docteur. Bien que différente, chaque mouture suit toutefois une idée commune : raconter des blessures intimes à travers un trauma collectif, soit le conflit israélo-palestinien (BeTipul), la guerre en Irak (In Treatment) et ici, plus centralisé, les attentats du 13 novembre 2015 à Paris. Des syndromes post-traumatiques qui conduisent, dans le huis clos d’un cabinet, toute une galerie de personnages à dévoiler leurs fêlures, leurs angoisses, leurs nœuds à l’âme… Pour mieux sonder, au passage, une société en état de choc.
Sur ARTE, la cure proposée dure sept semaines, au rythme de cinq épisodes hebdomadaires. Chacun d’eux correspond à une simple séance avec un patient. La cinquième, qui boucle la semaine, s’intéresse à l’état mental du psychanalyste même. La première à s’allonger sur le canapé est une chirurgienne en plein désarroi amoureux (jouée par Mélanie Thierry, sublime), instable car bousculée par les événements qui viennent de se produire. Suivra un policier rongé par la colère (Reda Kateb), qui ne se remet pas d’être entré dans le Bataclan le soir du drame.
Les mots comptent plus l’image
S’y ajoutent une jeune nageuse aux pulsions suicidaires, entretenant une relation ambiguë avec son entraîneur (Céleste Brunnquell) et un couple en pleine faillite, divisé par l’arrivée d’un second enfant (Clémence Poésy, Pio Marmaï). Reste le docteur Philippe Dayan, porté magistralement par Frédéric Pierrot et ses grands yeux tristes. Doux et sensible quand il écoute ses patients, il explose chez sa contrôleuse (Carole Bouquet) auprès de qui il vient raconter sa vie qui dérape, sa femme qui le trompe, ses enfants qui l’ignorent, son métier qui le dépasse… Et régler quelques comptes.
Il est donc question de mise à nu, à travers laquelle les mots comptent plus que l’image. Un cinéma subtil tout en contre-pied, où rien n’est montré, mais où tout est dit. Dans ce sens, même les silences en racontent beaucoup… D’intenses face-à-face, mélancoliques et d’une gravité solennelle, qui pourraient vite fatiguer, surtout qu’ils s’étalent sur près de 17 heures. Mais il n’en est rien. En thérapie soigne en effet son public à travers une narration maîtrisée. D’abord par des dialogues ciselés qui, en creux, soulèvent plus de questions qu’ils n’apportent de réponses. Ensuite par son casting réussi, qui fait notamment la part belle aux actrices, toutes remarquables.
Pour filmer cette série chorale, où chaque personnage tient un rôle majeur, Éric Toledano et Olivier Nakache prêtent leur caméra à d’autres cinéastes (Mathieu Vadepied, Pierre Salvadori, Nicolas Pariser) qui, parfois, portent brièvement leur regard au-delà du simple cadre du cabinet, permettant de se soulager du poids des champs-contrechamps et des échanges de regards. Car sur ces entrevues intimes vont naître d’autres histoires, d’autres relations et, par ruissellement, d’autres problématiques. Malgré ses errances, le docteur Philippe Dayan, en bon professionnel, continuera de tendre l’oreille et de hocher de la tête. Car il n’est jamais trop tard ni honteux de consoler ses peines. Cette série, aux vertus cathartiques, en est une superbe illustration.
Grégory Cimatti